ECHANCRURE (FRA) - Discours Sur Le Colonialisme (2012)
Label : Nihil Interit Records
Sortie du Scud : 17 juillet 2012
Pays : France
Genre : Post-Black Metal Expérimental
Type : EP
Playtime : 1 Titres - 20 Mins
Il nous avait surpris l’an passé, au travers de son premier album Paysage. Octobre. ; une expérience sensorielle forte, aussi éprouvante qu’envoûtante. Antoine, l’homme derrière le projet avant-gardiste ÉCHANCRURE, revient cette fois avec un EP en guise d’étendard. Pour ceux qui auraient loupé l’interview donnée par le jeune artiste dans nos pages, il a avant tout soif d’expérimentations (jouer avec des couteaux, par exemple), mais aussi de créer sa musique pour la simple beauté de l’art, en s’affranchissant d’un quelconque courant musical. Il nous avait dit vouloir tenter le Hip-Hop, le Jazz et, pourquoi pas, le Flamenco.
C’est désormais chose faite sur cette nouvelle galette, Discours Sur Le Colonialisme. Bon, peut-être pas pour l’art musical andalou mais, m’est avis que cela ne saurait tarder. Avec cet EP, déjà presque finalisé l’an dernier, je craignais d’y trouver un ÉCHANCRURE différent, plus éparpillé. Le titre du disque, ses prétentions des genres parcourus, une unique piste de vingt minutes… Et pourtant, ce n’est pas le cas. Parfaitement inscrit dans la continuité du premier album (à tel point qu’en les passant à la suite, on dirait la même œuvre), on est de nouveau happé dans cet univers ambiant sombre, hybride d’une dimension industrielle minimaliste et de samples oppressants, empruntés tant au Drone qu’au Noise, qui se meuvent constamment sur les fréquences, dans une construction s’apparentant au Free Jazz.
Sur Paysage. Octobre. , qui n’avait d’octobre que la date de sortie, c’était un extrait de Céline que l’on pouvait entendre majoritairement, en une sorte de critique de la culture de la France. S’il servait plus d’alimentation de l’ambiance que de thématique textuelle, Discours Sur Le Colonialisme semble différent dans son propos. Antoine pioche, dans ce pamphlet anticolonialiste de Césaire de 1950, des extraits forts, imagés, et marquants, surtout composés des douze premières pages (et du paragraphe final 26 pages plus loin) et autour desquels il peut articuler sa musique. Ce long morceau peut se diviser facilement en trois sections de paroles, entourées de séquences instrumentales (intro, outro, interludes). Le Francilien a décidé d’interpréter ce discours accusateur de façon musicale. Pour ce faire, il s’accorde une voix de rhéteur extrêmement déstabilisante de justesse, de conviction, et dans les émotions qu’elle véhicule. Celles-ci permettent au schéma musical d’évoluer, à l’instar du premier interlude, qui marque la force des derniers mots ("…je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais des têtes d’hommes.") par la mise en branle de saturations et d’une texture de synthés dense, à la fois macabre et élégiaque, nous entraînant plus profondément dans l’univers d’ÉCHANCRURE. À son exemple, le second pont instrumental, plus court, demeure minimaliste dans sa poursuite de l’évidence solennelle d’un "C'étaient des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles.", tandis que la fatalité "… le drap des mortelles ténèbres." donne sur un fond sonore disjonctant peu à peu.
Ne pas s’inscrire dans un genre un particulier, Antoine le clame haut et fort, et il le montre davantage sur cette même section finale avec un passage Rap/Hip-Hop, repris du morceau « Sac De Sucre » de l’artiste française Casey, connue pour ses textes révoltés de fille d’immigrés. Si les paroles collent on ne peut mieux à la thématique du discours, l’ancrage musical demeure délicat et peu fluide. Ce qui est sûr, c’est que l’étrangeté de ce moment dérange et interpelle en même temps. Pour ce qui est du reste de l’EP, c’est du ÉCHANCRURE tel qu’on le connaît. Cordes grinçantes, dissonantes, qui se mêlent aux bidouillages électroniques bouclant dans les nappes brumeuses. Les passages du discours voient généralement un apaisement du fond chaotique, avec juste quelques guitares maltraitées, tiraillées, des beats insufflant une dynamique contrôlée, et d’autres sons étranges, perturbants, se déroulant en arrière-plan. Parfois se manifeste un sentiment de malaise dû à des descentes de gammes sur le piano, les notes claires du vibraphone, ou bien quelques instruments à vents (des cuivres) qui ajoutent leur grain de bizarrerie. D’un voyage irréel, monte parfois la colère, à l’instar de la cacophonie d’expérimentations sur "Ah ! J’entends la tempête", voire l’horreur de par les cris et guitares stridentes qui s’accordent sur la fin, puisant dans un passé Black désormais renié pour une musique exclusivement expérimentale, mais jamais bien loin.
Si l’on peut s’interroger sur la nécessité de ressasser de telles idées, sur la finalité d’un tel texte mis sur le devant, plutôt que d’autres paroles qui auraient toutes aussi bien convenu, force est d’admettre que la musique est relativement bien construite autour. ÉCHANCRURE est toujours maître à créer cette ambiance cristallisée de notes scintillantes, ajoutant du désarroi à la situation spatiale de l’auditeur pris dans une tourmente chaotique fantasque et irrésistible ; bien que ses dires passés laissaient envisager davantage d’exploration des genres.
Ajouté : Mardi 02 Octobre 2012 Chroniqueur : CyberIF. Score : Lien en relation: Echancrure Website Hits: 7882
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