Tiffauges. L'entrée massive du château vous impose l'arrêt. Votre regard se perd dans le doré des lys royaux, reposant sur un fond bleu ciel, qui entourent la croix noire ceinte de jaune sable : les armoiries du seigneur des lieux. Gilles de Rais (ou de Retz). Cet homme a fait couler beaucoup d'encre à son sujet. Inspirant également les musiciens. Ainsi CRADLE OF FILTH consacra son dernier opus au sieur, Godspeed On The Devil's Thunder (2008), et le groupe parisien BORGIA fut lui aussi bel et bien inspiré et nous propose un titre dantesque avec Maréchal. Intrigué, vous décidez enfin de franchir la large entrée du château et vous vous avancez dans la longue cour. Vous posez les yeux sur les ruines de la chapelle qui borde la propriété. L'atmosphère des lieux vous fait ressentir le poids du passé. Son odeur aussi... Entre mystères et vérités, vous reniflez clairement le parfum caractéristique du sang. Car c'est en partie dans le sang que se forgea la légende de Gilles de Rais.
Ce qui nous amène ici, est une bande-dessinée consacrée à celui que l'on surnomma également « Barbe Bleue ». Le Saigneur de Tiffauges se déroule à notre époque, plus précisément entre 2007 et 2008. L'histoire met en scène un inspecteur, Gilles Deray, qui enquête sur les mystérieuses disparitions de deux enfants, à un an d'intervalle l'une de l'autre et ce sur les terres téphaliennes de l'ancien maréchal. Pas à pas, le policier, au nom étrangement semblable à celui qui hanta jadis le village de Tiffauges par ses horreurs perverses, dénouera les fils de cette intrigue...
Je ne peux guère en dévoiler plus quant à cette intrigue justement, au risque de révéler l'énigmatique solution de cet excellent scénario ! Car Éric Corbeyran, scénariste phare de plus d'une dizaine de tomes de Le chant des Stryges (Delcourt), nous sert ici un bon polar sur fond historique teinté un brin d'ésotérisme. Soyez-en assurés, notre homme s'est parfaitement documenté sur le sujet, nous en distillant quelques épreuves au fil des pages afin de mieux situer les faits et de cerner la complexité du Maréchal. Il n'hésite pas également à nous amener sur un plateau d'argent des bribes du conte de Charles Perrault, Barbe Bleue, pour souligner le rapport entre la cruauté du personnage de ce conte qui n'hésita pas à tuer ses femmes bien trop curieuses et Gilles de Rais qui acquis ce surnom en raison des méfaits sanglants accomplis par lui. Peu de gens ignore qu'il fut accusé de sorcellerie, de sodomie et d'assassinat sur de jeunes enfants, ce qui lui valut le bûcher en 1440.
Les illustrations ont été réalisées par Horne Perreard, auteur entre autre des dessins sur Oriane (Bayard) et Le Maître de Jeu (Delcourt), signant avec ce dernier projet sa première collaboration avec Corbeyran. Son style graphique est ici stupéfiant ! Pour ceux d'entre vous qui connaissent déjà le château de Tiffauges, vous serez bluffés par le réalisme des planches ! Pour les autres, autant vous dire que c'est comme si vous y étiez ! Nul doute que Sieur Perreard s'est rendu sur place pour reproduire le plus fidèlement possible l'antre du Saigneur de Tiffauges : le laboratoire de l'alchimiste, le scriptorium, la crypte, les machines de guerre exposées dans l'enceinte même du château... Un trait parfaitement réaliste donc, le tout souligné par des couleurs sombres pour rendre l'atmosphère et l'histoire plus oppressantes et glauques. Un duo d'artistes bien trouvé pour ce one-shot ! Le gros regret pour cet unique opus est qu'il soit justement orphelin d'éventuelles suites... En effet, en refermant cette bande dessinée, on a une impression de « bâclé », comme si les quarante-huit pages de ce volume formaient une limite à ne pas dépasser ! À mon humble avis, un deuxième tome aurait été le bienvenu, ne serait-ce que pour permettre à l'histoire de durer plus longtemps et d'être plus aboutie, plus riche en détails et en rebondissements. Mais ceci n'est que mon avis, et je préfère vous laisser seuls juges en vous remettant les clés du château de Tiffauges...