JOHN ZORN (usa) - The True Discovery Of Witches And Demons (2015)
Label : Tzadik Records
Sortie du Scud : 21 août 2015
Pays : Etats-Unis
Genre : Fusion Jazzcore
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 43 Mins
Si un jour l'ennui vous ronge les sangs, et que vos veines deviennent noires, à tel point que seule une saignée pourrait vous soulager et vous en extirper, jouez à un jeu. Parcourez la discographie de John ZORN, et essayez d'en résumer le parcours en quelques lignes, et de concentrer le meilleur de son travail sur un double, allez, un triple album.
Impossible ? Ca doit pourtant être réalisable, à condition de pouvoir rassembler son oeuvre en un seul dossier, et d'être objectif et très patient...
Pour synthétiser la bio du bonhomme, et m'adresser de fait à un public purement Metal, Zorn, c'est le mec qui a collaboré avec Mick Harris et Bill Laswell dans PAINKILLER, qui a fondé l'ensemble arty et avant garde noisy NAKED CITY, qui a trituré l'improvisation fatale avec Mike Patton sur l'album Hemophiliac, mais qui se l'est aussi joué tribal avec MASADA, avec qui il a sorti en quatre ans la bagatelle de onze disques...
En gros, John Z, c'est le Zappa du Jazz barré, qui depuis a fondé sa propre structure, Tzadik Records, pour rester indépendant et lancer sur le marché tout ce qui lui paraît pertinent ou intéressant, sans avoir à se préoccuper d'un business quelconque. Le musicien libre par excellence, tant dans sa propre vie que dans la déconstruction de sa musique, qui souvent flirte avec les sommets de l'Avant Garde la plus absconse. Oui mais voilà, le bonhomme est talentueux, et le musicien inspiré. Alors certes, parfois, il est difficile de piger où il veut en venir, mais il exhale toujours de ses travaux un parfum sauvage, des arrangements notoirement flingués mais qui finissent par s'imposer, en gros, il ne fait ni du n'importe quoi, ni du tout venant.
Et dans un désir de continuer l'exploration des connexions qui existent entre différents courants musicaux contraires, John s'associe pour la deuxième fois au trio Matt Hollenberg (guitare), Kenny Grohowski (batterie) et John Medeski (claviers), et nous livre cette réflexion intéressante sur l'existence des sorcières et des démons. Il a adjoint à son trio de base deux nouveaux venus, pour renforcer l'impact Heavy de ce projet, l'insaisissable Trevor Dunn à la basse (MR BUNGLE, FANTOMAS), et le non moins barré Marc Ribot à la guitare (Tom WAITS, ELECTRIC MASADA, déjà avec Zorn).
En résulte un constat en forme de réponse à une question non formulée. Oui, les sorcières et les démons existent, sous une forme musicale, et leur existence est parfaitement décrite par les pistes de cet album qui explorent tous les horizons fusion/bruitistes qu'il est possible d'envisager. Si la musique du trio/quatuor/sextette a été décrite comme du Tony Williams Lifetime sous stéroïde, ça n'est pas simplement pour l'amour de la formule, mais pour coller de près à une image qui n'a rien d'exagérée. Ici, le free est maître à bord, et les musiciens s'en donnent à coeur joie, d'une façon individuelle en multipliant les parties de dingue comme les proverbiaux petits pains, mais aussi de façon globale, en maintenant une belle cohérence à l'ensemble du projet. Construit sur une rythmique Grohowski/Dunn élastique, corrosive, et parfois schizophrène, le Mathcore/Jazz/Fusion de The True Discovery Of Witches And Demons ne se refuse aucune tentative, et réussit à rester passionnant de bout en bout.
Certes, le style peut rebuter. Les longs déséquilibres qui vrillent les pistes ont de quoi donner mal à la tête à l'amateur de franchise, mais il est certain que le fan de Heavy/Rock/Metal lambda n'ira pas forcément poser ses oreilles sur cet album.
C'est abrasif au possible, le clavier strident éparpille ses délires moog/70's en prenant bien soin de vous écorcher les tympans, et je ne vois guère que le furieux et maniaque "The Gordian Knot" pour se rapprocher des tonalités Metal d'usage. Lancé comme un délire synthétisant DILLINGER ESCAPE PLAN et UZEB, c'est une bombe lâchée dans un moment de haine pure, qui frappe fort, et laisse une place importante aux guitares saturées.
Mis à part cette intervention, le reste est quand même une sale affaire de boeuf tapé dans un club borgne de New York. Improvisation, ou composition studieuse couchée sur partition? Le cas Zorn est tellement particulier que cette interrogation légitime (ou pas), restera en suspens, et ne vous reste plus qu'à vous laisser emporter par la musique, qui dessine des ambiances assez inquiétantes et oppressantes ("Phantasms"), des courses en avant symptomatiques du Jazz Rock des années 70/80, le son rugueux en plus ("The Power Of The Runic Symbols" et son clavier sans pitié, presque à la Anton LaVey), des mutilations moitié groove, moitié suicide harmonique ("Sorcerer", qui sent bon l'Occult Rock de 69/71, avec sa guitare et son sax au bord de la possession hystérique, bourrasques Grind comprises dans l'exorcisme), du DREAM THEATER/RUSH/YES sous acide salement coupé au PCP et aux anabolisants ("Psychosoma"), et même de longues ballades sinueuses à la pureté et la sérénité troublantes ("Mirrors Of Being", trop calme pour être honnête, et pourtant serein).
The True Discovery Of Witches And Demons, avec le support de Dunn et Ribot grimpe encore un cran au dessus de son grand frère Simulacrum (qui est d'ailleurs plus ou moins devenu le nom de baptême de ce projet), accentue la violence crue, les déliés personnels et diaboliques, et fait montre d'une belle cohésion dans la violence, qui parfois tutoie les cimes du bruit blanc chaotique.
Mais avec de tels musiciens, la créativité est toujours à son paroxysme, pourvu que l'on accepte la collision des styles pour en former un nouveau, et l'intégration de l'agression comme composante majeure de la fusion entre le Jazz et le Rock/Metal le plus abrupt.
Rien de démonstratif, mais du viscéral, de l'instinctif, et surtout, beaucoup de libertés prises avec soi même, le business, ou les courants abordés.
Ca fait du bien d'entendre une telle musique, charpentée mais tout sauf élitiste, et puis admettons le, Zorn, quels que soient ses partners in crime, reste un musicien unique, attachant, et une figure incontournable de la musique extrême moderne, qu'elle soit Jazz, Free, Tribale, ou juste... ce qu'elle est. Mais quelle jolie légitimité offerte aux créatures du dessous, et gageons que les sorcières et autres diablotins des ténèbres ont du agiter leur petons et aiguiser leurs cornes à l'écoute de ce disque.
Ajouté : Samedi 19 Décembre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: John Zorn Website Hits: 6734
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