DISEMBOWELMENT (au) - Transcendence Into the Peripheral (1993)
Label : Relapse Records
Sortie du Scud : 1er septembre 1993
Pays : Australie
Genre : Doom Death Metal
Type : Album
Playtime : 7 Titres - 60 Mins
Il est toujours facile de dire après coup, "Oui, je le savais. C'était un chef d'oeuvre mais personne ne l'a compris, à part moi". Simple comme bonjour.
Mais savoir réaliser qu'un disque restera unique, inégalable, beau, torturé, au moment même où il sort sur le marché, dans l'indifférence générale, reste un exercice très difficile, et un pari risqué.
Je ne vais certainement pas me la jouer lors de cette chronique. Ce réflexe, je ne l'ai pas eu lorsque ce disque est sorti. A dire vrai, je ne l'ai même pas remarqué. Pourtant publié par Relapse, label qui avait toute mon attention à l'époque eut égard à toutes les saloperies bruitistes qu'ils vomissaient, Transcendence Into the Peripheral m'est complètement passé sous le nez, et je ne cherche aucune excuse.
Car oui, vingt deux ans après, il est temps de le dire. En matière de Death/Doom/Grind, il représente l'excellence, le décalage, l'originalité que bon nombre des maîtres du genre n'ont jamais pu toucher du doigt. Un peu à la manière d'un SEMPITERNAL DEATHREIGN que pratiquement tout le monde à oublié, et qui connaît une réhabilitation virtuelle depuis quelques années.
Mais encore plus que ça, il pourrait représenter le sommet d'un genre, dans tous ces excès et son nihilisme, alors que depuis sa chute dans les oubliettes du temps, d'autres tarés ont essayé de frapper encore plus fort.
Et pourtant...
Oui, on a connu les scarifications d'ABRUPTUM, bien planqués dans leur cave/studio. Les mises en terre d'ENCOFFINATION et ses lancinances déchirantes étirées d'une façon déraisonnable. Les scories Black à la production innommable qui ont repoussé le ridicule du boucan encore plus loin qu'un bouchon de cire d'HELLHAMMER. Les longues litanies de CANDLEMASS, les processions mélodiques d'ANATHEMA, THE GATHERING ou OPETH. Les chutes de la falaise graves et létales de GRAVE. Tous ont eu droit aux honneurs, mais il y a un problème...
diSEMBOWELMENT a synthétisé toutes leurs caractéristiques, avant, pendant, ou après. Peu importe. Les mélodies éparses et contaminées, les longs segments contemplatifs, les écrasements sans pitié, les accélérations brutales, la voix caverneuse comme un râle d'agonie, les guitares étouffées, la production qui flatte la batterie pour enterrer tout le reste. Ne cherchez pas plus loin, la quintessence de la douleur, de la lenteur, de la misanthropie, de la lucidité fataliste, tout est là, étalé en une heure de musique passant par tous les stades de la haine, de la tristesse, de la colère, de la solitude... Douloureux, mais cathartique. Le Funeral Doom, le Death-Doom, L'Avant Garde Noisy, le Post Black, tous ont été fouiller dans les entrailles encore chaudes de diSEMBOWELMENT pour trouver leur essence propre. Et ils avaient raison, elle fumaient sous leurs naseaux, exhalant une odeur putride...
diSEMBOWELMENT, de Melbourne, a commencé au tournant des années 80 et 90, à répandre la bonne parole Grind et Doom sur son île natale, dans un silence médiatique quasi complet. Deux démos se sont succédé, Mourning September en 1990, et Deep Sensory Procession into Aural Fate l'année suivante. Et après une ultime mise en jambes sous la forme d'un EP, Dusk, les quatre embaumeurs de la joie de vivre ont fini par lâcher la bombe Transcendence Into The Peripheral en 1993, puis... Plus rien.
Ils l'avaient dit eux mêmes, sur leur première maquette, le mois de septembre est propice aux suicides et aux plaintes existentielles. Ils l'ont prouvé avec leur premier long, passé honteusement à la trappe. Ce seul et unique album se retrouve souvent en bonne place des tops recensant les disques les plus étranges jamais sortis. Et sur l'une de ces pages, on peut lire la description suivante :
"C'est le disque qu'aurait pu enregistrer Brian Eno s'il avait découvert qu'on avait tué son chien".
Hormis le sens de la formule recherché, l'analogie n'est pas si idiote que ça. Comprenez, diSEMBOWELMENT jouait une musique viscérale, cérébrale et expérimentale. Qui oserait de nos jours mixer de telles influences, et les proposer sur un seul et unique album ?
Certes, les riffs sont taillés dans le même monolithe. Graves, sourds, mixés en arrière plan, plaqués comme une gravure funéraire sur une stèle, ils se contentent de répéter le même motif, aussi grondant, déterré et cadavérique que possible.
Le chant module le moins possible, et varie d'incantations sourdes en hurlements de douleur, lui aussi planqué à l'arrière par la production, pour amplifier cette sensation d'écho funèbre.
La rythmique, si on peut l'appeler ainsi puisque la basse semble morte dans l'oeuf, est minimale. Descentes de toms au ralenti, blasts imprévisibles, et le reste de la prière se contente de down tempos lourds et puissants, martelés sur une caisse claire à l'agonie et une grosse caisse qui résonne dans une crypte. De rares moments de double pédale viennent interrompre ce schéma bien huilé, comme un battement cardiaque juste avant l'extrême onction.
Il est évident que pour beaucoup de non initiés, Transcendence Into The Peripheral ne sera rien d'autre qu'une idée motrice unique, découpée en sept pistes interminables. C'est peut être le cas, mais cette idée principale génère tellement de possibilités, ouvre tellement de pistes qu'elle en devient multiple par définition.
L'album d'ailleurs débute et se termine sur deux morceaux qui synthétisent parfaitement la volonté de ses auteurs. Avec leur dix minutes passées, "The Tree Of Life And Death" et "Cerulean Transience of all my Imagined Stories" étalent des arguments Death, Doom, Grind, les mélangent, pour en ressortir une harmonie macabre, une désillusion ultime sur la condition humaine, et lancent alentours des notes martelées, des cris déchirants, des plaintes longues et monotones, comme une régurgitation d'une philosophie de vie assumée et réaliste.
On peut y voir les derniers instants d'un patient en phase terminale qui réalise toute la vacuité de son existence dans une ultime douleur libératrice, ou le long chemin d'un être humain ayant compris à quel point ses efforts sont vains face à l'inéluctabilité de son parcours...
Mais ce qui frappe en premier lieu, et qui représente la force de Transcendence Into the Peripheral, c'est son parti pris de ne reculer devant rien, et de friser les cimes du grotesque assumé. Tout est tellement excessif dans sa construction qu'il laisse admiratif, et finit par devenir un chef d'oeuvre. Là où tant d'autres seraient tombé dans le ridicule achevé, Matthew, Paul, Jason et Renato ont réussi à anticiper tous les débordements à venir, sans les édulcorer, et à pondre un album aussi percutant de simplicité qu'avant-gardiste à l'extrême.
Extrême, c'est le mot. Car je crois pouvoir affirmer que ce seul et unique LP est ce que la musique extrême à proposé de plus complet et "exagéré". Sans tomber dans le paillard Gore, ni les itérations faussement morbides. Et un simple coup d'oeil à l'apparence des musiciens suffira à vous convaincre de leur caractère authentique et anonyme.
Osons le résumé maximal et outrancier. Transcendence Into the Peripheral est un album maladif, qui fait peur. Et une des plus grandes injustices du Metal des années 90.
Mais surtout, un chef d'oeuvre incontestable. Souffreteux, mais incontestable. Et ça, presque personne ne l'a dit à l'époque. Même pas moi.
Ajouté : Vendredi 30 Octobre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Hits: 5788
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