ANATHEMA (uk) - Vincent Cavanagh (Mars-2012)
ANATHEMA est l’exemple type d’une métamorphose exemplaire et totalement réussie. Un espoir pour tous les groupes qui ont à un moment ou un autre souhaité évoluer et se sont échoués sur les récifs d’un changement non maîtrisé ! Car si l’on y regarde de plus près, ANATHEMA n’a plus rien à voir avec le groupe signé par le label Peaceville dans les années 90 ! Exit le Doom / Death prodigué par nos lascars de Liverpool que l’on retrouve sur des galettes comme Serenades (1993), The Silent Enigma (1995) ou encore Eternity (1996). Le changement s’est opéré progressivement au fil des années d’une manière intelligente et parfaitement maîtrisée qui confine à la perfection. Un exploit qui leur a permis de conquérir de nombreux fans venant de différents horizons tout en repoussant sans cesse leurs limites. Au final, le gang a tout fait pour aboutir à un Rock Progressif des plus inspiré qui confine à une dimension quasi mystique, du très grand art et ceci sans aucune concession, bien au contraire. Car rien ne leur a été épargné, le combo a en effet traversé des périodes extrêmement douloureuses se retrouvant notamment sans label et devant assurer tout par eux-mêmes. Beaucoup pensaient alors que nos amis de Liverpool ne réussiraient pas à surmonter ces épreuves difficiles et allaient être engloutis corps et âmes par le monde impitoyable du business. Sauvés in extremis grâce à une volonté inébranlable, les frères Canavagh reviennent en force en 2010 après sept longues années de silence du moins au niveau discographique (Les frangins n’ayant cessé de tourner à travers le monde au cours de ces années difficiles tout simplement pour survivre) avec We’re Here Because We’re Here, une galette somptueuse qui prouve que nos British sont sortis grandis de cette épreuve ! Après une réussite pareille la question qui hantait tous les esprits était de savoir si nos anglais de Liverpool avaient les capacités nécessaires de réitérer cet exploit et de se surpasser une fois de plus pour aller encore plus loin ! Le nouvel album apporte une réponse sans appel et efface tous les doutes permis. The Weather Systems est certainement leur œuvre majeure, une pépite qui ravira tous les fans et devrait les amener vers de nouvelles cimes ! Leur avenir semble tout tracé sur l’autoroute de la créativité et on ne peut que se demander où cette course folle va s’arrêter ! Devant un album d’une telle amplitude, on en vient même à parler de chef d’œuvre. Il était indispensable de comprendre comment un tel opus pouvait naître ! C’est un Vincent Cavanagh des plus sympathique et très affable qui à bien voulu se prêter au jeu des questions - réponses avec une simplicité et une disponibilité exemplaire ! Magnéto Serge !
Line-up : Vincent Cavanagh (chant, guitare), Daniel Cavanagh (guitare, chant), Lee Douglas (Chant) Jamie Cavanagh (basse), John Douglas (batterie)
Discographie : Serenades (1993), The Silent Enigma (1995), Eternity (1996), Alternative 4 (1998), Judgement (1999), A Fine Day To Exit (2001), A Natural Disaster (2003), Hinsight (2008), We're Here Because We're Here (2010), Falling Deeper (2011), Weather System (2012), Distant Satellites (2014)
M-I Interviews du groupe : Vincent Cavanagh (Mars-2012), Vincent Cavanagh (Avril-2014)
Traduction : Sir Sixties Fan
Metal-Impact. C’est un plaisir de te voir à Paris, deux ans après la sortie du dernier album. Cette fois-ci, vous avez été très rapide comparé à la dernière fois où vous aviez mis sept ans !
Vincent Cavanagh. Oui, et encore on a aussi sorti un album entre temps qui s’appelle Falling Deeper, c’est un disque instrumental qu’on a enregistré avec un orchestre symphonique et qui est sorti l’année dernière. Alors si on compte Hindsight qui est sorti en 2008, je crois que les quatre derniers albums sont sortis en l’espace de quatre ans ce qui fait une bonne moyenne.
MI. Qu’est-ce qui est arrivé ? Vous êtes devenus très courageux !
Vincent. Oui, on n’arrive plus à s’arrêter, on est presque devenu boulimiques, c’est peut-être une réaction contre la frustration de ne pas avoir sorti de disque pendant si longtemps. Alors finalement ça ne m’intéresse pas vraiment de savoir les raisons pour lesquelles on a mis si longtemps de par le passé, je suis simplement content que nous soyons entrés dans ce mode créatif maintenant.
MI. Quand vous avez fini le dernier album, vous aviez beaucoup de pistes non utilisées. Est-ce que ces titres ont été retenus sur le nouvel album ?
Vincent. On a repris que quelques titres seulement, on savait qu’il y aurait quatre chansons qui seraient réutilisées « The Gathering Of The Clouds », « Lightning Song », « Sunlight », et « The Storm Before The Calm ». Ces quatre chansons forment une séquence indissociable que nous n’avions pas pu inclure dans We’re Here Because We Here car on savait que cette suite de chansons ne pouvait pas être rompue. Il était évident qu’elles devaient être ensemble. A partir de là, nous savions que ce serait la base et la trame de Weather Systems, l’album suivant.
MI. Dirais-tu que Weather System est la seconde partie de Were’re Here Because Were’re Here ?
Vincent. Non, il y a toujours une sorte de lien, surtout par le fait que quatre des chansons ont été créées à peu près en même temps mais sinon d’un point de vue conceptuel, il n’y a pas de lien. Ce n’est pas comme si c’était une suite logique de l’album précédent. Mais je sens aussi qu’il y a une progression semblable dans une partie de l’écriture de cet album, « The Storm Before The Calm », « The Lost Child », « Internal Landscapes » et des chansons comme ça nous ont poussés plus loin dans notre propre créativité. C’est une sorte de voyage introspectif que nous avons effectué. Et c’est presque comme si, tu sais, on ouvre une porte et que tu pénètres dans un lieu inconnu, et il n’y a qu’une façon d’avancer, il faut ouvrir une nouvelle porte sur un lieu nouveau, et puis une autre, et une autre encore… C’est à peu près ce qui se passe avec notre musique, tu vois, quand on fait quelque chose on est dans un nouvel espace, un lieu nouveau du point de vue créatif, et il faut avancer à partir de là : c’est l’unique solution.
MI. Lorsque j’ai écouté l’album, il n’y a pas beaucoup de chansons qui sont très longues, les deux premières chansons, « Untouchable I et II», ça parle d’Elliot Ness ? [Rires]
Vincent. [Rires] Non, non… c’est intéressant comme idée !!! [Rires] !!! Tu vois, Danny avait ce chapeau à l’époque et je crois qu’il était… non… en fait ce n’est pas lui Elliot !! [Rires] ! Ça concerne en partie le fait de renoncer à quelqu’un, de perdre quelqu’un. Et c’est le processus d’être face à ça et de le vivre de manière intense. La première partie, c’est quand on est encore en plein dedans en quelque sorte, alors que la deuxième partie concerne la résignation et le fait d’y repenser par la suite. Et ça se termine sur une note en quelque sorte respectueuse, ça parle des relations, de la vie, tout ça…
MI. Il y a beaucoup de parties de piano sur cet album, c’est toi qui les a jouées ?
Vincent. Oui, c’est vrai que j’en joue un peu sur certains morceaux, mais l’essentiel a été fait par Danny. Il joue du piano sur tous les disques, et c’est lui aussi qui compose essentiellement au piano. Moi, je joue plutôt du clavier, ce genre de truc… Le piano, c’est toujours Danny, et quand il compose c’est de manière très instinctive. Les accords lui viennent très facilement et naturellement, et en quelque sorte, il se les rejoue, encore et encore, jusqu’à entrer dans un état d’hypnose, comme ça il est entraîné par la musique, qui l’emmène là où elle doit aller, et arrive à ce qu’elle doit être en fin de compte. Et moi je suis là parfois en tant que filtre objectif à côté de lui pour lui dire « Ce que tu dois faire c’est ça… ou alors ça… tu enlèves ça et tu fais ça… ». Je l’aide à faire les arrangements, à donner un sens, ce genre de truc !
MI. Quand j’ai écouté l’album, j’ai eu l’impression que vous aviez accompli un travail gigantesque ?
Vincent. Oui, oui, ça c’est vrai…
MI. Pourquoi, cette fois-ci, avez-vous décidé d’enregistrer dans trois studios d’enregistrements différents ?
Vincent. C’est une longue histoire ! Et bien au début on travaillait sur Falling Deeper, et on est allés au studio de Parr Street à Liverpool pour faire cet album. On savait qu’on aurait un résultat impeccable à Parr Street. On connaît le studio, on connaît les gens qui y travaillent, c’est un endroit de légende à Liverpool, et ça a facilité les choses pour John, notre batteur, parce qu’il est papa d’un enfant en bas âge et il habite à Liverpool, alors c’était simplement plus tranquille pour lui, d’un point de vue pratique.
Après environ une semaine d’enregistrement de Falling Deeper à Liverpool, on s’est dit : « D’accord, c’est un endroit super, on peut même faire une partie de l’album suivant ici ». L’idée nous est venue ainsi. Après ça, on s’est très vite rendu compte qu’on allait faire un disque complet et qu’il nous faudrait un autre endroit pour travailler. Christer Andre Cederberg travaillait déjà avec nous sur Weather Systems. C’est lui qui a suggéré : « Allons chez moi, à Oslo, on peut faire une partie des morceaux là-bas ». Du coup, on a décidé de diviser l’enregistrement du disque en deux parties. On a choisi de travailler sur la première moitié à Liverpool et terminer la seconde à Oslo. Et puis après on est allés au Nord du Pays de Galle pour finaliser le tout.
MI. Quelle différence ça fait d’enregistrer à Oslo comparé à Liverpool, votre ville ?
Vincent. A Oslo, c’était très intense, on vivait dans le studio et on a travaillé vraiment vite, vraiment intensément. Ils avaient un matériel incroyable, superbe et ce qui était très important aussi c’était que Christer Andre Cederberg connaisse aussi bien l’endroit. On pouvait faire une analyse complète de chaque aspect du son, en fonction de ce qu’on voulait obtenir, et on pouvait facilement lui dire : « C’est ça le genre de son de batterie qu’on veut obtenir… ». Et il savait comment l’obtenir, puisque c’était son studio, tu vois c’était plus simple pour lui.
Il s’est passé exactement la même chose à Liverpool parce que l’ingénieur connaît cet endroit sur le bout des doigts. Il y travaille depuis une vingtaine d’années, cela lui permet de maîtriser totalement l’enregistrement. Du coup en studio tout a été très facile, la production aussi, l’étincelle créative était toujours là, parce que qu’il y avait moi, Danny et John qui formions en quelque sorte le trio créatif du groupe. Le producteur a pris la place de quatrième membre d’une certaine manière. A Liverpool, on a enregistrés la moitié de l’album et ensuite on est partis à trois à Oslo avec Christer et ça a fonctionné à merveille.
Ensuite quand on est retourné au Pays de Galle, on a invité Lee à venir nous rejoindre pour une semaine ou deux afin de tout finir là-bas et surtout finaliser les parties vocales et les petits détails.
MI. C’est pourquoi c’était plus rapide cette fois-ci comparé à avant. Vous aviez un seul producteur qui a tout fait du début à la fin ?
Vincent. Oui, rapide si on parle en terme de journées passées à enregistrer car on travaillait sur deux disques en même temps, donc on est passés de Falling Deeper à Weather Systems une fois ou deux dans le même laps de temps. Tout ça constituait un travail titanesque et épuisant !
MI. Alors vous avez enregistré ces deux albums, Falling Deeper et Weather System au même moment ?
Vincent. Oui, oui, en même temps ! On a commencé avec Falling Deeper et on a continué avec Weather Systems en faisant l’aller-retour deux ou trois fois entre les studios ! C’était un peu comme faire tourner des assiettes… Tu vois ce que je veux dire ? [Rires] !!!
MI. C’était un peu expérimental ? Ca t’a plu ?
Vincent. C’était pas mal, mais je ne pense pas que j’aimerais le refaire [Rires] !!!
MI. Peux-tu me dire qui est Christer-André Cederberg et comment vous en êtes venus à travailler avec lui ?
Vincent. Il vient de Norvège, il nous a été présenté par Petter Carlsen, qui fait aussi partie de notre famille élargie. Il a enregistré, mixé et réalisé le deuxième album de Petter Carlsen Clocks Don’t Count Il faut écouter cette réalisation, c’est impeccable, vous n’entendrez jamais rien de mieux. Et puis finalement, on l’a rencontré pendant qu’on était en tournée, on a joué à Oslo et il est venu nous voir, et comme on savait que c’était un gars super, on s’est dit : « D’accord, on va essayer ». Et dès notre première journée à Liverpool, on a tout de suite su que c’était le bon choix, c’est une de ces personnes avec lesquelles j’ai immédiatement ressenti des atomes crochus, quelque chose de très personnel. On ne peut pas décrire cela avec de simples mots. On avait loué un appartement à Liverpool et je partageais en quelque sorte une chambre avec lui et au petit déjeuner on parlait de tout et de rien. Bien sûr, on parlait un peu du travail qu’on avait à faire, mais autrement on discutait de tout, de ce qu’on ressentait à propos de ce qui se passait dans le monde : l’art, la culture, le cinéma, la vie, tout et n’importe quoi, l’actualité, la politique… Et immédiatement, j’ai ressenti ce feeling particulier qui m’a fait penser que c’était quelqu’un de bien. C’est devenu instantanément un bon copain. Et puis quand on est arrivés au studio, ça a été fantastique. Il a réussit à être le premier producteur à vraiment s’entendre aussi bien avec moi, Danny et John, c’était vraiment incroyable tout simplement. Et là on s’est tous dis : « Voici le gars dont on avait besoin ! ». Imagine que seulement après un jour où deux de travail tout nous semblait totalement naturel, c’est exceptionnel, on avait l’impression que c’était comme s’il faisait partie du groupe depuis toujours. C’était quelque chose de magique, inexplicable !
MI. Vous avez ressenti une sorte d’osmose ?
Vincent. Oui, immédiatement, et seulement au bout d’un jour ou deux comme je le disais. Et comme il y avait juste moi, Danny John et Christer, on avait simplement l’impression d’être ensemble tous les quatre à faire cet album comme si on se connaissait depuis la nuit des temps. C’était une sorte d’alchimie instantanée, un courant qui passait entre nous, on était sur la même longueur d’onde !
MI. Vous aviez travaillé auparavant avec Steven Wilson, quelle est la différence avec Christer ?
Vincent. Oui tout à fait, Steven Wilson, c’est encore un autre de ces types qui nous correspond bien, il sait exactement ce que nous essayons de faire. Mais la différence, c’est que Steven n’est intervenu sur le dernier album qu’au stade du mixage. Et cette fois ci, nous avons eu Christer dès le départ, dès le premier jour. C’est ça, la différence …
MI. Que vous a-t-il apporté ?
Vincent. Dans l’optique de ce que nous essayons d’accomplir, non seulement il a cette expertise technique, comment obtenir exactement le son que nous recherchions mais il s’entend aussi très bien avec les gens avec qui il travaille. Il reconnaît tout de suite quelles sont les bonnes idées dans ce qu’on veut accomplir et où on veut aller avec notre musique, et il sait, tout comme nous, comment construire la musique, comment mettre en relief l’intensité de chaque partie. Par exemple, si on est en train d’improviser une chanson et qu’on n’a pas encore les paroles, que l’on travaille simplement sur la musique, il est très important de ne pas perdre de vue le résultat final, car ce qu’il faut faire, c’est se dire cette partie va s’appuyer un peu sur celle qui précède. Lui il sait où il faut mettre la cymbale ride, où utiliser la cymbale crash, etc. comment on construit les choses avec chaque instrument, la dynamique de notre jeu, à la guitare basse, aux guitares électriques, au piano, ou avec n’importe quel autre instrument. Tout doit fonctionner ensemble et pour créer la pièce finale, il faut prendre en compte les montées, les descentes, toute la dynamique de la musique. Et il a été un moyen formidable de nous permettre de reconnaître ça, de nous aider à nous focaliser sur chaque instrument et de savoir exactement ce qui allait en sortir au final. La chanson « Internal Landscapes » en est un exemple parfait, car elle a été improvisée en l’espace d’une journée.
MI. Une journée ! Vous êtes plus rapides que la vitesse de la lumière !
Vincent. Oui ! [Rires] J’ai amené le riff, c’était un vieux riff de Danny, et puis Christer a joué la basse, Danny a fait les guitares, moi j’ai dit à John quel rythme il devait jouer. On à tous senti en quelque sorte comment cette chanson allait se construire, se développer, et puis on s’est mis à l’enregistrer. Christer et moi, avec les yeux rivés sur les contrôles et aussi sur John qui était à la batterie. Pour décider exactement comment on allait construire ce morceau et quelle était la meilleure façon d’obtenir cette intensité, pour progresser encore et encore, pour qu’à la fin, et arriver à une forme apogée …
MI. C’est un apport énorme !
Vincent. Oui, mais en même temps c’est très subtil, et ça explique comment on construit une chanson en l’espace de quelques minutes, car on ne part pas du silence jusqu’au crescendo comme ça, il y a eu une réelle construction dans cette chanson.
MI. Une sorte de longue progression ?
Vincent. Oui complètement, toute une progression permanente et il ne faut pas perdre l’objectif de vue, il faut se focaliser sur l’aboutissement de la chanson, comment la chanson va se terminer et ça t’aide à progresser… Alors pour moi, personnellement, travailler avec Christer, ce fut une expérience vraiment super, exceptionnelle !
MI. Vous pensez retravailler avec lui ?
Vincent. J’espère que oui, j’ai l’impression qu’on a trouvé le producteur qu’il nous fallait. C’est notre George Martin (ndi : producteur légendaire des BEATLES), notre Nigel Goodridge (ndi : RADIOHEAD) !!! Il est devenu indispensable en l’espace d’un album, je suis simplement désolé qu’on ne l’ait pas trouvé avant mais maintenant qu’on l’a, on veut faire tous nos albums avec lui !
MI. Tu peux me parler de « Internal Landscapes » ? Qui est la personne qui fait ce très long monologue au début du morceau ?
Vincent. Oui bien sûr, c’est Joe Geraci. Il a eu une expérience post mortem unique, je crois que c’était à la fin des années soixante-dix. Cette idée est née à la base d’un documentaire qui a été réalisé en 1991, par un homme qui s’appelle Kenneth Ring. Il a interviewé Joe Geraci à propos de son expérience de la mort imminente. Et ce qui m’a frappé lorsque j’ai écouté pour la première fois l’enregistrement de cet homme qui racontait son histoire, c’est son humilité, son honnêteté, sa profondeur, l’émotion que l’on devinait et que l’on ressentait dans sa voix, on comprenait qu’il avait réellement vécu cette expérience, il ne faisait pas semblant. Quand il a dit qu’il était face à ces ultimes moments, et qu’il éprouvait une très grande douleur, et que la chose la plus importante qu’il pouvait faire à ce moment-là c’était d’essayer de trouver la force de se retourner pour dire « au-revoir » à sa femme on sentait que c’était réel et profond. C’est là que j’ai compris que c’était quelqu’un avec qui je partageais fondamentalement ma philosophie sur la vie et la mort. Les gens qu’on aime sont ce qu’il y a de plus important dans la vie et qu’ils le sont plus particulièrement au moment ultime. Il a traversé cette expérience de mort imminente, et où qu’elle ait eu lieu, elle a été réelle pour lui. C’est un débat important, je crois, et très intéressant. Bien sur beaucoup de gens se feront leurs propres idées à propos de cette histoire mais cela permettra justement d’ouvrir le débat. Mais pour moi, le plus important c’est son expérience personnelle et ce qu’il a ressenti pour sa femme lorsque la vie s’échappait de son corps, c’était vraiment émouvant. C’est Danny qui nous a amené ce documentaire, le lendemain du jour où on avait improvisé ce qui allait devenir « Internal Landscapes ». On a eu cette inspiration et après avoir visionné ce reportage Danny nous a dit : « D’accord, je vais contacter cet homme ! ».
MI. Vous pensiez réussir à le retrouver après toutes ces années ?
Vincent. Oh tu sais, on ne savait même pas s’il était encore vivant. Et puis finalement, on a réussi à entrer en contact avec le réalisateur du documentaire. Lui, il était encore vivant. Et il nous a dis qu’il était très intéressé par notre idée. Du coup on lui a expliqué notre projet et il nous a annoncé qu’il était encore en vie et qu’il vivait aux Etats-Unis. Il nous a dit qu’il devait avoir dans les quatre-vingts ans et qu’il allait essayer de nous mettre en contact avec lui. En fin de compte, on a pu entrer en contact avec Joe Geraci. Danny lui a expliqué, lors d’un échange de mails, ce qui se passait, et de quoi parlait la chanson, et pourquoi son histoire à lui nous avait inspiré cette chanson. Je pense qu’il a été très ému par notre démarche et il nous a donné son accord pour qu’on utilise son expérience et sa voix ! Ce qui était très important pour nous car on voulait avoir sa bénédiction, c’était fondamental. Et ensuite alors que j’étais dans le studio lors de la dernière session d’enregistrement, je mettais les dernières touches à « Internal Landscapes » Danny m’a appelé. Il m’a dit « Viens au téléphone ! » et il m’a passé le téléphone, et Joe, dont je n’avais entendu la voix que dans le documentaire m’a parlé. Il avait la même voix que celle que nous connaissions, c’était très étrange. Et je me suis dit : « Il est encore vivant, et je suis en train de lui parler de cette chanson ». J’ai vraiment l’impression que c’était écrit. On peut appeler ça comme on veut, le destin ou autre chose mais les choses devaient se passer de cette façon.
C’était comme si la boucle avait été bouclée ! Ce n’est pas un simple échantillon qu’on a utilisé c’est bien plus que ça. C’est vraiment l’expérience de Joe qui nous a influencés directement les paroles, l’histoire derrière cette chanson. D’ailleurs ce titre nous a influencés pour tout l’album en fait.
MI. Vous lui avez fait écouter le morceau ?
Vincent. Oui, oui, il l’a entendu.
MI. Et quelle a été sa réaction ?
Vincent. Et bien en fait il nous a fait un compliment incroyable que je ne répéterai pas parce que ça aurait l’air trop prétentieux ! Ce n’est pas à moi de le dire mais ça lui a plu ! C’était une bonne expérience pour lui aussi.
MI. Vous êtes toujours en contact avec lui ??
Vincent. Oui, bien sûr. On va lui donner un exemplaire de l’album et si jamais j’en ai l’occasion, j’irai lui rendre visite aux Etats Unis. Je pense que Danny aimerait d’ailleurs lui interpréter quelques-uns de ses poèmes !
MI. Quand on écoute cet album, il y a en quelque sorte une touche de poésie. C’est très différent de ce que font la plupart des autres groupes c’est important pour vous ?
Vincent. Oui, et il y a aussi beaucoup de sincérité et beaucoup de sentiments qui viennent vraiment du cœur, comme par exemple pour « Untouchable I et II ». Les chansons de Weather Systems sont plus poétiques que nos précédents albums. Une chanson comme « The Lost child » est un peu plus onirique, elle a été en fait inspirée directement par un rêve ! « Internal Landscapes » aussi. Je pense que d’un point de vue musical, quand on écrit des trucs, ça vient du subconscient, c’est de la créativité pure. Donc on essaie de faire en sorte que les paroles se fondent avec la musique. Nous aimons qu’il y ait une réaction émotionnelle immédiate par rapport à la musique et les paroles. Parfois il vaut mieux aller droit au cœur des choses.
MI. Y a-t-il une signification précise au niveau de la pochette, ce dessin est un peu étrange ?
Vincent. C’est à toi de te faire ta propre interprétation. Je te recommande d’ailleurs de regarder la version vinyle pour voir les détails qui sont très importants. Elle est très différente des autres albums. Ça pourrait être une graine, tu vois, ça pourrait être tout un monde interne, un paysage, quelque chose d’inconscient ou qui vient d’un rêve ! Mais c’est très lié aux paroles et à une grande partie de la musique.
MI. Vous voulez donc que les gens puissent se faire leur propre vision des choses ?
Vincent. Oui complètement. Tout comme ils doivent avoir leur propre interprétation des paroles. Parce qu’il y a beaucoup d’histoires personnelles dans nos chansons qui concernent des personnes spécifiques alors si je te disais qui sont ces gens, ou bien de quoi parlent ces histoires, ce serait un peu comme si je t’empêchais d’avoir ta propre interprétation. Je crois que le plus important dans le domaine de l’art et particulièrement celui de la musique, c’est que l’auditeur puisse établir sa propre relation avec les morceaux. On peut établir une relation raisonnée, ce n’est pas un problème, on peut avoir une réflexion profonde, tu vois, on peut créer une chanson qui, à l’écoute, t’amènera vers d’autres horizons auxquels tu n’aurais pas forcément pensé. De même lorsque tu contemple une œuvre d’art, elle peu t’amener à avoir une interrogation sur le monde ou sur la vie, et ça c’est bien. Mais avec nous je dirais que c’est un peu plus émotionnel, ça fait appel directement aux sentiments, chacun doit découvrir ses propres émotions a travers nos titres et c’est ça qui est intéressant !
MI. Ca fait appel à nos propres sentiments et à notre vécu en quelque sorte ?
Vincent. Oui complètement, ça peut te rappeler quelque chose ou te faire penser à une personne qui fait partie de ta vie, ou bien à toi-même.
MI. Tu veux que les gens fassent leurs propres rêves quand ils écoutent ta musique ?
Vincent. Oui, bien sûr, si je parlais à quelqu’un en face à face, dans l’intimité, tu vois, je pourrais peut-être lui dire d’où tout ça vient, qui sont ces gens dont je parle et lui expliquer ma perception des choses. Tout ça, si ce n’est pas trop personnel, et si je connais bien la personne car il faut garder une part de mystère quelque chose qui t’appartient. Mais ce n’est pas mon intention de tout dévoiler, je n’ai pas envie de clamer au monde entier ma vision intime de chaque partie de Weather Systems.
MI. Pourtant c’est très autobiographique ce que tu écris ?
Vincent. Oui complètement et c’est très intense mais il y a aussi des bribes de rêves dans certaines chansons, « The Lost child », par exemple, ou alors « The Storm Before The Calm ».
MI. Quelle est la philosophie du groupe ?
Vincent. La philosophie du groupe ? Waouh ! Ce n’est pas simple à expliquer en quelques phrases ! Tu vois, il y a Danny, John et moi qui formons un trio. Nous avons un but bien précis. Mais il y a aussi tous ces gens qui forment un groupe élargi autour de nous et qui sont reliés à nous ! Par exemple quand nous sommes en tournée, personne n’a plus d’importance que les autres, tu vois, et ça inclut l’équipe, et tous les gens qui jouent avec nous, c’est vraiment comme une grande famille, on ne fait pas de différence ! Notre relation les uns par rapport aux autres est aussi importante que n’importe quoi dans notre musique. Une des philosophies à propos d’ANATHEMA et de notre discographie, c’est cette impulsion qui nous pousse constamment vers l’avant, cette progression constante qui ne peut jamais être une répétition du passé, une redite de ce qu’on vient de faire. On avance toujours, et si tu regardes ce qu’on a fait depuis nos débuts jusqu’à aujourd’hui, c’est une évidence et ça va continuer à être ainsi. Nous serons un de ces groupes qui fera ça constamment, donc je pense que ce sera très intéressant de nous suivre dans les prochaines années.
MI. C’est le même groupe mais pas la même musique !
Vincent. Exactement ! Elle change à mesure que les gens évoluent eux-mêmes. Ce que tu fais est un reflet fidèle de ce que tu es à un moment donné, ou alors de ce que tu penses ou de ce que tu ressens. C’est tout naturel que ta musique suive ta propre évolution spirituelle et mentale.
MI. Mais comment expliquer qu’il y ait tant de groupes qui fassent toujours la même musique sans tenter d’innover ?
Vincent. Parce qu’ils font du divertissement... Ils veulent nous divertir, donner du plaisir, et ils veulent jouer les trucs qu’ils aiment et c’est très bien aussi, personne ne voudrait changer AC/DC !!! [Rires]
Il faut bien qu’ils restent fideles à leur identité, il faut qu’ils soient "eux". Mais il y a aussi d’autres groupes qui vont évoluer continuellement comme RADIOHEAD ou les BEATLES ou encore PINK FLOYD. Tous ces groupes ne se sont jamais vraiment répétés. Même une fois arrivés à un certain stade de notoriété, ils n’ont jamais cessés d’aller de l’avant. Je pense que nous nous sentons plus proches de gens comme ça que de n’importe qui d’autre, et aujourd’hui des groupes comme RADIOHEAD ou Steven Wilson innovent sans cesse ! Il y a quelques groupes qui sont dans une évolution permanente et je pense sincèrement que l’on fait partie de ces gens-là.
MI. Vous sentez vous proches des BEATLES ?
Vincent. Les BEATLES, oui, tout à fait. Et je pense qu’ils ont probablement eu autant d’influence sur nous en tant que personnes que n’importe quel autre groupe c’est évident. Mais nous n’avons jamais voulu leur ressembler. En fait nous n’avons jamais voulu ressembler à qui que ce soit. Mais quand tu regardes ce qu’ils ont fait en démarrant de leur ville natale sans aucune aide, c’est incroyable. Ils n’ont cessés d’évoluer tout en restant le plus grand groupe du monde. Les gens nous demandent souvent si on a ressenti une certaine pression après We’re Here Because We’re Here qui a été reçu de façon incroyable et je leur réponds que non ! Quand je regarde ce qu’on fait les BEATLES, le plus grand groupe de tous les temps, comment ressentir de la pression quand tu penses à eux ! Ils ont voulu faire leur propre musique sans penser à quoi que ce soit d’autre. Et nous sommes dans la même démarche. Nous voulons simplement faire ce que l’on aime et nous savions que nous allions aller plus loin encore avec Weather System et ce dès l’enregistrement de We’re Here Because We’re Here !
MI. Juste pour finir, qu’aimeriez-vous entendre lorsque les gens découvriront cet album ?
Vincent. Je ne sais pas, j’aimerais qu’ils voient cet album comme une continuation, une évolution, qu’ils acceptent le fait que tout ce que nous faisons est authentique ! Je pense que c’est important de rester impartial, de faire preuve d’humilité, que l’on soit félicité ou critiqué, si on sait qu’on a créé quelque chose de nouveau c’est parfait. Quoiqu’il arrive on n’y changera rien, on a fait aussi bien que l’on a pu et on est restés sincères ! Alors peu importe ce que les gens en pensent, on est imperméable à la critique une fois que l’on est allé au bout de nos idées. J’espère simplement que les gens y trouveront ce qu’ils cherchent. Je sais où nous voulons aller, je sais ce que sera la suite, et ce sera encore différent dans le futur nous continuerons à suivre notre route quoi qu’il arrive !
MI. Est-ce que tu penses que depuis le dernier album vous drainez un nouveau public ?
Vincent. Je pense que oui, notre public ne cesse de s’agrandir. Les gens qui viennent voir nos spectacles représentent un public de plus en plus nombreux et il vient d’horizon très divers. Comme notre musique est de plus en plus diversifiée, ils viennent de milieux sociaux différents, ils sont de tous âges, ils ont des cultures différentes. Ce sont des gens qui apprécient toutes sortes de musiques différentes. Ca correspond tout à fait à ce que nous faisons ! Notre public devient de plus en plus éclectique et différent, c’est un fait.
MI. Merci beaucoup...
Vincent. Merci !
Ajouté : Mardi 15 Mai 2012 Intervieweur : The Veteran Outlaw Lien en relation: Anathema Website Hits: 19171
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