Traci Lords, Jenna Jameson. Rien que ces deux noms doivent au moins dire quelque chose au fan de Hard Rock en général et, qui sait, de films hard en particulier. D'avance il me faut vous prévenir, même si l'évocation du patronyme de ces deux stars du X peut entraîner les sarcasmes les plus douteux, qu'ici il n'est pas question de déposer des commentaires foireux du genre "je leur pèterais bien la rondelle" ou encore "je leur arracherais les morpions avec les dents" ... Après tout, il y a d'autres Webzines Metal très spécialisés pour ça, qu'on ne nommera pas sur cette page au risque de faire de la pub aux internautes métalleux les plus pervers. Il y en a qui se trouvent mal dès que Simone Simons (EPICA) met un décolleté alors je n'ose imaginer le déluge de pensées d'obsédé qui leur vient à l'esprit lorsqu'ils voient Jenna en photo. Tiens, ça doit être ça, le haut débit ...
Je ferai de mon mieux, tout au long de cette chronique, pour donner mon point de vue sur l'ouvrage de Daniel Lesueur, si possible avec la même pudeur - le même respect - avec lequel l'auteur parle de ces deux porn-stars. Bien sûr, d'entrée, on peut émettre un gros regret : que cette couverture, ouvertement racoleuse malgré des ailes d'ange bien visibles, ne mette pas vraiment Jenna Jameson en valeur, ou en tous cas la fasse passer pour une grosse allumeuse, disons-le franchement. Il existe tellement de photos où Jameson paraît moins vulgaire (et moins camée), voire même plus élégante, que ce genre de cliché classe malheureusement American Sex Stars dans la catégorie des bouquins pas forcément recommandables. Ce qui, en vérité, n'est pas vraiment le cas.
Comme dit plus haut, Daniel Lesueur évoque, en parallèle, les carrières respectives de Jennifer Marie Massoli (Jenna Jameson) et Nora Louise Kuzma (Traci Lords) comme on prendrait soin de rédiger les mémoires des plus grandes stars. Un mot sur l'auteur : Lesueur, auteur, journaliste, manager, animateur radio, a roulé sa bosse pour Rock & Folk ou encore Jukebox Magazine, et a mis le nez dans ce qui touche de près ou de loin au Rock, et à la musique de la fin du 20ème siècle. On lui doit aussi chez Camion Noir la biographie de John C. Holmes (chronique ICI), alors en un sens, s'attaquer ensuite à l'histoire atypique de deux figures emblématiques féminines du cinéma porno semble logique. Même si le CV de l'auteur laisse à penser que nos deux stars doivent avoir un quelconque rapport avec le Rock, c'est surtout leur enfance malheureuse et leur destin hors du commun qui renvoient directement aux biographies des plus grandes Rock Star. A peine peut-on lire que Traci était fan de Hard (AC/DC) et que Jenna traînait avec ces bandes de bikers tatoués, avant de sortir, plus tard, avec Marylin Manson himself.
Si Lesueur garde, tout au long de l'ouvrage, un ton qui le rapproche de son lecteur, n'hésitant pas à appeler un cul "un cul" (et oui, on parle de X quand même), on peut noter toutefois quelques maladresses qui peuvent choquer ou faire rire, c'est selon ... Pour ma part, la phrase "Jenna et Traci ont réussi, et pas seulement à la force du poignet", dès la page 13, m'a laissé bien songeur quant à la suite du bouquin ...
En vérité, cette double biographie ressemble à un road-movie mouvementé et plutôt glauque. Lesueur prend ses distances avec l'Amérique hypocritement puritaine et parvient à faire passer tout en douceur un message bien plus fort qu'une simple phrase ambiguë. En un mot, le pays de la liberté a de quoi faire peur. Au bout de quelques centaines de pages, c'est un constat édifiant qui s'impose au lecteur. Chez l'Oncle Sam, il ne fait pas bon d'être flic, danseuse, mère célibataire, garde du corps, belle-fille, ou encore photographe. Les différents étapes de la vie de chacune, que l'auteur nous dépeint en se basant sur leurs mémoires ou des extraits de leur journal intime, se succèdent au rythme de faits divers accablants : viol, abus sexuels, illégalité (Traci Lords tourne des films pornos alors qu'elle est encore mineure), consommation de drogues et alcools, tartes dans la gueule, et j'en passe. Point d'orgue : Jenna est victime d'un viol dans la chambre d'un salopard qui a eu la bonne idée d'accrocher un poster de Traci Lords, elle aussi violée quelques années auparavant ...
La vraie question posée par ce bouquin reste malgré tout sans réponse : est-ce le passé si douloureux de Jenna et Traci qui ont fait d'elles des femmes d'affaires obstinées, déterminées à prendre leur revanche sur les hommes en tournant des films X ? Elles-mêmes n'ont pas la moindre idée de ce qui les a menées là. Et en un sens, on ressent une certaine frustration, comme si on avait lu American Sex Stars ... pour rien. Même si Jameson reconnaît que tôt ou tard, elle savait qu'elle ferait du X. Que les choses soient bien claires, quelque part ce n'est pas leur statut de victime qui les a fait basculer dans le porno, mais bien un choix personnel et voulu.
Cependant le récit parvient à toucher le lecteur, lorsqu'on découvre que sous leurs airs de filles endurcies par la vie, se cachent deux coeurs d'artichauts, collectionnant les loosers et autres jaloux excessifs, et subissant malgré tout les conséquences d'un mal bien plus profond : leur solitude. Lesueur évoque leurs complexes de jeunes filles, et notamment les seins de Jenna, comme une inquiétude permanente chez la demoiselle qu'elle devient alors ... Elle y remédiera un peu plus tard en passant pas la chirurgie. Ce qui permet de rappeler aux lecteurs les plus tordus que lorsqu'une femme passe sur le billard pour se faire poser des implants mammaires, ce n'est pas forcément une "grosse salope qui aime montrer ses nichons à tout le monde". C'est surtout pour se sentir bien dans sa peau et dans son soutien-gorge. Compris ?
De même, American Sex Stars rétablit la vérité sur un monde que beaucoup trop ne connaissent que de l'extérieur (ou via un écran) : celui du cinéma porno. Derrière cette industrie à l'apparence luxueuse servant de boîte à fantasmes pour les hommes essentiellement, se cache une réalité parfois plus brutale. Certes, on y apprend que Jenna peut très bien toucher un paquet de dollars (ça se compte en milliers ...) rien qu'en travaillant 20 jours dans l'année. Le truc, c'est que la notoriété n'atteint qu'une mineure partie des filles qui se jettent là dedans. Car pour la plupart de ces actrices, le tournage se résume à des heures passées dans un endroit bien dégueulasse, au milieu de mecs qui les considèrent comme des bouts de viande. Ce qui m'a personnellement rappelé une phrase terrible d'Ovidie ... Elle y décrivait la fin d'un tournage, où tout le monde laisse en plan une pauvre fille recouverte de sperme et tremblant de froid, personne n'ayant l'idée de lui apporter ne serait-ce qu'une serviette pour s'essuyer et se réchauffer. Il est beau, le monde du X, hein ?
Enfin, pour finir cette chronique, on peut regretter que le bouquin se termine un peu en queue de poisson. Les récentes années de la vie de Jenna Jameson sont (volontairement ?) oubliées. En effet, les dernières apparitions de la star (surtout à partir de 2007) ne rassurent personne : on la voit anorexique, affaiblie, bouffée par la came et surtout enlaidie par une énième opération lui transformant les lèvres en bec de canard. Mais peut-être faut-il voir dans cet oubli une façon de ne pas toucher à son statut de star. A cette époque, il était question d'adapter sa propre autobiographie au cinéma, avec Scarlett Johannson dans le rôle-titre. Un projet laissé sans suite.
En fait, il serait intéressant de savoir ce que vont devenir Jenna Jameson et Traci Lords dans les 20 prochaines années, au moins pour voir s'il est possible d'exister après le X. Même si Traci a tenté une incursion dans le Septième Art plus "classique" ou dans la musique.
Alors à suivre ...