PHAZM (FRA) - Pierrick Valence (Juin-2016)
Après huit années de silence et d'introspection, le groupe PHAZM reprend du service. Huit ans, c'est le temps qu'il fallait aux nancéens emmenés par Pierrick Valence pour prendre du recul en évitant à tout prix de sombrer dans une routine artistique. PHAZM ne se produisait pas au Hellfest cette année mais c'est à l'occasion du festival que j'ai retrouvé Pierrick Valence, venu défendre sa nouvelle création en terre clissonnaise. Tout de noir vêtu et encapuchonné, l'ex hurleur de SCARVE n'a résolument rien d'un hercule de foire. Barbe blonde taillée en pointe, yeux bleus glacés, voix calme et posée, Pierrick se raconte et se révèle avec passion. En vingt petites minutes, le frontman et fondateur de PHAZM nous a donné toutes les raisons nécessaires pour nous précipiter sur son nouveau projet, Scornfull of Icons, un disque de rupture, certes, mais qui annonce également le retour sur la scène Metal Extrême, d'un groupe français qui n'a pas les deux pieds dans le même sabot.
Line-up : Pierrick Valence (guitare et chant), Joss Dreau (guitare), Fabien W. Furter (basse), Pierre Gorgor Schaffner (batterie)
Discographie : Hate At First Seed (2004), Antebellum Death'n Roll (2006), Cornerstone Of The Macabre (2008), Scornfull Of Icons (2016)
Crédit Photo : LudoPix.com
Metal-Impact. Peux-tu nous expliquer ce qui t'as décidé à relancer PHAZM après huit ans d'interruption ?
Pierrick Valence. Il y a eu plusieurs choses. Le fait qu'on ait arrêté c'était pour éviter de tomber dans un système où tu trouves une formule avec ton groupe au bout de trois albums et t'es tenté de l'exploiter et de la répéter à tort et à travers. Il y a plein de combos qui font ça et certainement très bien puisque ça marche. Mais moi j'aime bien amener des choses différentes à chaque album pour qu'il y ait un petit peu de suspens et de surprises. On a décidé d'arrêter en 2008 pour éviter de tomber là-dedans. Quand on s'y est remis c'est qu'on sentait que c'était peut-être le bon moment, et que ça nous manquait de faire de la musique extrême. Et il y a eu un drame, le décès de mon père, qui a oeuvré grandement au besoin d'exorciser tout un tas de sentiments liés à ce deuil. Et, comment dire [il réfléchit longuement] s'il y avait pas eu ça, je serais quand même revenu à cette musique parce que quand tu as le Metal qui est en toi, qui coule dans tes veines, c'est comme ça, tu ne peux pas rester à l'écart de ça trop longtemps. Mais force est d'admettre que ce décès a participé à la créativité et au retour.
MI. Entre 2008 et 2016, tu as exploré d'autres formes de musique, travaillé avec d'autres artistes ?
Pierrick. Oui, on a monté un groupe de Rock'n Roll qui s'appelait GENERAL BIZARRE avec un ancien des AMIS DE TA FEMME. Je me suis mis aussi à la musique traditionnelle scandinave avec un instrument qui s'appelle le nyckelharpa. Je me suis mis à plein de trucs, je n'ai jamais arrêté d'être dans la musique.
Je suis sorti de la MAI, l'école de musique à Nancy à 19 ans et je suis rentré dans SCARVE tout de suite après. J'ai fait ma première tournée européenne à 19 ans et après on a enchaîné tout le temps. Et ça a duré avec PHAZM et avec AGRESSOR. J'ai été vraiment ultra actif dans le Metal pendant une dizaine d'années. A un moment donné j'ai eu besoin de faire un break, mais pas d'arrêter de jouer. Si tu fais toujours le même truc sans sortir la tête de l'eau, est-ce que tu es vraiment certain d'être aussi sincère dans ta démarche que tu l'es au commencement ? A un moment donné, il faut arrêter pour mieux repartir. Si t'arrêtes pas de fumer des pétards, au bout d'un moment ça te fait plus rien. Il vaut mieux faire une pause et après quand t'en refumes un, t'es vraiment stone. C'est un peu pareil avec le groupe.
MI. Musicalement parlant, cette pause t'as donné envie de partir dans une nouvelle direction avec PHAZM ?
Pierrick. En effet, j'ai souhaité opérer un retour aux sources. Quand on a pris dans la gueule dans les années 90 toute cette scène Black Metal norvégienne avec des groupes comme EMPEROR ou MAYHEM, on avait un frisson qui était lié à la nouveauté du son, le fait qu'il n'y avait pas internet, facebook tout ça... Il y avait un mysticisme, une aura autour de cette scène. Je voulais retrouver ça. Je voulais retrouver ces sentiments qui transcendent la musique. Quand t'écoutes ce genre de musique là, tu ne penses pas à un mec avec sa guitare, en train de se brancher dans un ampli, de mettre un micro devant et d'enregistrer avec, tu vois ? T'es connecté à quelque chose de beaucoup plus spirituel, tu mentalises quand t'écoutes cette musique là. C'est pas bas du front… C'est pas censé l'être en tout cas. Et c'est à ça que je voulais revenir avec le quatrième album de PHAZM. Cet état d'esprit qu'on avait dans les années 90 et qu'il est ultra compliqué de remettre en oeuvre. Déjà parce que la nouveauté liée au style de musique n'est plus là, parce qu'internet a contribué à tout démystifier. Mais ça ne veut pas dire qu'on peut ne plus être spirituel à travers la musique. Ce n'était pas uniquement lié à une époque, c'était lié à une mentalité et il faut un peu revenir à cette aura là. Et c'est ce que j'essaye de faire.
MI. Après deux albums Death'n Roll et Bluesy, tu te tournes donc vers le Black Metal ?
Pierrick. Il y a toujours eu cette trame, le rapport à la mort qui me persécute au quotidien et quand t'es plus jeune, un peu plus fougueux, tu vas essayer d'apprivoiser ce malaise en émettant un peu plus d'humour. D'où ce côté un peu n'Roll. Faire un peu danser les morts. Après tu grandis, tu vis des choses un peu compliquées et t'as plus envie de faire du Twist. Ce côté n'Roll, on le retrouve de façon plus discrète dans le nouvel album, mais c'est plus dans des arrangements. Si je te jouais certains passages du disque avec un gratte folk et avec un certain groove, tu pourrais même identifier sur certains passage, le refrain de "Ginnungagap" par exemple, quelque chose qui s'apparente à une descente chromatique utilisée en Jazz. Il y a des choses qui sont encore liées à ce côté groovy et Rock'n Roll.
MI. Comment arrivez-vous à concilier les différentes périodes musicales de PHAZM dans vos live ?
Pierrick. C'est là où on se régale, parce que du coup, sur scène, on arrive à monter un enchaînement de morceaux très vivant. C'est pas ON/OFF. Moi ça me plaît d'avoir cette variété de morceaux et il y en a qui sont liés, faudrait que vous veniez nous voir, mais il y a des morceaux qui vont bien ensemble, qui s'enchaînent bien.
MI. T'inquiètes pas, on sera là à Torcy pour le Fall Of Summer.
Pierrick. J'y compte bien.
MI. Sur votre dernier album, tu as beaucoup travaillé sur le chant, tu as développé de nouvelles tessitures, comment as-tu travaillé ?
Pierrick. Cela s'est fait petit à petit, dès le deuxième album j'avais déjà commencé à mettre des voix un peu mongoles, polyphoniques, avec des chants de gorge. Je le dois à John Vezzano, le chanteur de NILE avec qui nous avons faite une tournée avec SCARVE. Un jour en backstage j'entends ce chant et je me dis "c'est pas possible, c'est lui qui fait ça?". Je lui ai demandé de me montrer un peu comment il faisait, où il allait chercher ça. Et après, avec le temps, tu développes. C'est des techniques et c'est pas parce que tu les maîtrises que tu vas en mettre partout, mais comme tu les développes, elles entrent dans le processus de création. J'ai attendu le bon moment, de maîtriser les trucs. J'ai toujours voulu avoir un chant avec plusieurs palettes. Un profane qui va écouter du Metal extrême, il va entendre que ça crie. Effectivement, on crie, on vocifère. Mais cette vocifération peut exprimer tellement de choses entre l'agressivité, la souffrance, un cri de joie, un cri de détresse, un cri de ralliement. Il faut essayer de mettre tout ça pour pas que ça soit monocorde. Pas que dans l'agression primaire.
MI. Outre les différents types de chant, Scornfull Of Icons regorge de sons inédits et d'instruments étranges, peux-tu nous expliquer ?
Pierrick. Déjà avant, je n'étais pas contre utiliser des dobro, des harmonicas, des trucs comme ça. J'ai toujours pensé qu'en studio fallait pas se retenir de mettre une couleur quand on l'entendait. Il y a des groupes qui se restreignent en studio par peur de pas pouvoir le reproduire sur scène. Peu importe. Il y a la scène, il y a le studio. Si tu entends un truc en studio, tu le mets. Là je me suis ouvert sur les musiques traditionnelles scandinaves et je me suis mis carrément au nyckelharpa. C'est l'instrument national suédois. Il apparaît sur les billets de 50 krs. Il y a des cordes sympathiques et un reverb naturel qui se met en oeuvre. C'est vraiment mystique comme sonorité. Durant l'apprentissage, j'ai rencontré un duo qui s'appelle OCTANTRION, avec Eléonore Billy et Gaëdic Chambrier, ils sont à fonds dans le trip et on va développer dans le futur encore plus de choses avec ça, dans un état d'esprit rituel et chamanique.
MI. Tu penses qu'on peut jouer du Black Metal norvégien si on n'est pas scandinave ?
Pierrick. De la même manière qu'on peut se sentir connecté à une spiritualité liée au paganisme. On n'est pas obligé d'être norvégien. Un africain pourrait très bien se reconnaître dans cette forme de réflexion là. Il y a des groupes de Reggae en Russie, qui sont certainement très bon. Cela serait vraiment très prétentieux de la part des norvégiens de dire qu'il faut être norvégien pour faire du Black norvégien. Il y a des groupes de Blues en France, ils n'ont pas ramassé le coton dans les années 40. J'assume totalement ça. En plus on le fait à notre manière. Donc j'assume ces influences mais je revendique ma façon de faire.
MI. Comment réagissent les fans à ce tournant radical dans la musique de PHAZM ?
Pierrick. On a douté à un moment, mais les retours sont excellents. La dernière fois que j'ai vécu ça c'était avec Irradiant de SCARVE où on avait eu un retour de presse unanime. Là je retrouve la même vibe. Il y a du monde aux concerts et au vu de ce qui se passe au stand de merch après le concert, c'est révélateur. Quand tu finis ton concert et qu'il y a plein de monde qui vient acheter tes trucs, je pense que ça va. Les gens ont été surpris, ils m'ont avoué être un peu déconcerté mais après ils me disent qu'ils l'écoutent et qu'au bout de deux ou trois fois, ils comprennent le lien. C'est sûr que si les gens veulent entendre tout le temps la même formule avec nous, il faut qu'ils changent de groupe. Il y a AMON AMARTH, AC/DC, tout un tas de trucs où là tu sais où tu vas. Là non, je vois pas l'intérêt. T'as qu'à réécouter le disque que t'aimais bien, sinon.
MI. Tu penses que les fans de Metal extrême ont une certaine adaptabilité, une capacité à aimer des musiques transgenres ?
Pierrick. Pas tous. J'ose espérer que la plupart le sont, mais pas tous. En tout cas, moi je suis comme ça, j'aime bien qu'un groupe me surprenne. Un groupe comme MAYHEM, chaque album est différent, mais énormément différent. J'aime pas les groupes où tu sais où tu vas aller. Même la pochette ressemble aux précédentes. C'est quoi l'intérêt ? Tu deviens un produit. Artistiquement tu apportes quelque chose sur les deux premiers albums, peut-être même que le premier. Tu te dis que c'est bien, tu refais la même chose. Quel est l'intérêt ? Tu imagines un peintre à qui on demanderait de toujours faire le même paysage. C'est l'enfer. Moi je pourrais pas, ça sert à rien, c'est pas la créativité, c'est la productivité. T'as fini ton année de tournée, alors tu refais un disque, tu te mets pas en danger. C'est pas pour moi ça.
MI. En parlant de peinture, qu'as-tu cherché à exprimer avec l'artwork de Scornfull of Icons réalisé par Valnoir ?
Pierrick. J'ai choisi de travailler avec Valnoir de Metastazis parce que justement il est très sincère dans sa démarche. Il ne va pas se forcer à faire un truc s'il n'aime pas. Il va s'intéresser autant à la musique qu'au propos, donc on a eu de longues discussions au téléphone pour savoir quel était le concept, ce qu'il y avait derrière. Je savais qu'il allait être capable d'exprimer quelque chose hors du temps. A la fois connecté à quelque chose de paganiste et quelque chose de moderne. Parce qu'il y a un truc qui me dérange un peu dans tout ce mouvement là, c'est qu'on n'a pas besoin de prétendre de revenir en arrière. La spiritualité elle existe aujourd'hui, même dans cette époque moderne. Donc j'aime bien faire le lien. Les gens qui vont se déguiser en vikings en croyant développer une spiritualité à travers un costume, ça ne marche pas. On peut très bien être ultra-moderne et totalement connecté à quelque chose de plus tellurique.
MI. Tu penses qu'il y a quelque chose d'un peu réac dans le Metal ?
Pierrick. A quel niveau ?
MI. Une façon de se dire que c'était mieux avant...
Pierrick. C'est sûr que dans le contexte actuel, on a l'impression que soit on est monothéiste avec les religions du livre, sont on est athée. Et moi l'athéisme je ne le prône pas car j'ai l'intime conviction que personne n'est vraiment athée. Même le plus gros des athées, en discutant avec lui tu découvres des croyances, des superstitions, un rapport à l'au-delà, à la mort. Du coup c'est difficile de parler spiritualité et religion aujourd'hui car il n'y a que le monothéisme qui fédère. Le monothéisme, je l'associe à l'urbanisation et le retour en arrière c'est de se mettre dans un état d'esprit où quand tu voyais la lune, ce n'était pas juste un caillou qui tournait dans le ciel. J'ai envie de revenir à quelque chose de plus poétique par rapport aux éléments qui nous entourent et peut-être qu'on avait ça avant le monothéisme. C'est à ce niveau là que c'est intéressant de chopper des trucs. Pas le retour aux sabots, on n'en a rien à foutre de ça. On peut très bien vivre comme on vit aujourd'hui mais sans oublier des choses très simples, primaires, un peu bestiales. Mettre de la spiritualité dans la bestialité. L'instinct qu'on oublie. Le monothéisme c'est tout le temps en train de se justifier ou de se punir pour ce qu'on a pensé ou fait. Embrasser une femme qui n'est pas la nôtre, manger un gâteau au mauvais moment. On a du mal à s'assumer en ce moment. On ne sait pas où on va et il y a une forme de nihilisme spirituel qui s'installe, paradoxalement en même temps qu'une guerre de religion, c'est dans ce sens que peut-être le Metal extrême est un peu réactionnaire, mais ça a du bon quand même.
MI. En septembre prochain, vous jouez au Fall Of Summer, tu es content ?
Pierrick. C'est super, je suis super content d'y jouer. Déjà l'affiche a toujours été à mon goût. On dirait une veste à patch l'affiche, c'est génial. Il a sa place en France, ce festival, parce qu'il ne donne pas dans le grand public, il y a un parti pris dans la programmation. J'y suis jamais allé mais j'ai vu que l'endroit a l'air d'être vraiment cool. Et de voir mon logo à côté de ces autres logos, c'est une fierté et un honneur.
MI. SCARVE et PHAZM, deux des groupes auxquels tu as participé ont un destin similaire. Une période d'ascension, une coupure, un retour, c'est un peu le même schéma. Comment compares-tu ces deux expériences ?
Pierrick. Avec SCARVE il n'y a jamais eu de coupure, c'est une fin en fait. Qui n'a jamais été assumée par les autres membres du groupe d'ailleurs. Je m'en suis pris plein la gueule à un moment donné parce que j'étais le seul à dire qu'une fois Guillaume (Bideau, chant) et Dirk (Verbeuren, batterie) partis il fallait arrêter. Les autres voulaient à tout prix continuer. Maintenant on en rigole quand on se voit. J'ai revu Dirk y a pas longtemps, on partageait une affiche et après le concert il m'a dit avec sa voix de belge qu'à l'époque il n'avait pas dû être facile et qu'il était désolé, ils l'ont reconnu quand même. Et maintenant il joue avec MEGADETH donc...
Non, je pense que dans la carrière d'un groupe, t'as toujours des pics. Toujours un album qui fait qu'on prend une certaine place. Après il faut la conserver. Et c'est là où tu peux tomber dans la redite, à ne pas vouloir prendre de risque pour éviter de perdre cette place que tu t'étais faite. Pour PHAZM on verra, soit on va stagner, soit on avancera. Je ne fais pas de plan de carrière. On n'en vit pas de ça, et je n'aimerais pas en vivre. Je n'aimerais pas être dépendant de tout ça. Je veux que ça reste un truc que je kiffe. Tant qu'on gagne un petit peu d'argent et qu'on n'en perd pas, ça me va. Je connais beaucoup de gens qui vivent, ou plutôt qui survivent de ça, leur train de vie est très dur. Je les respecte mais je ne pourrais pas faire comme eux.
MI. Et tu risques justement de tomber dans la redite.
Pierrick. Voila. Ou alors t'as de la chance, t'es un groupe comme ENSLAVED qui à chaque fois qu'il sort un disque remet tout en question ET ça marche. MAYHEM, ENSLAVED, ils ont jamais fait le même album et personne ne leur en tient rigueur, au contraire on les félicite.
Ajouté : Lundi 04 Juillet 2016 Intervieweur : Rivax Lien en relation: Phazm Website Hits: 9669
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