"Formulae est un ensemble d'incantations de base pour invoquer les esprits. De simples chants pour un usage quotidien".

C'est une façon comme une autre d'introduire un album, qui dès le départ, fait fonctionner l'imagination. Et sans avoir écouté l'album en question, on se prend à divaguer. A quoi s'attendre après tout ? Du BM très Ambient, ou plutôt Raw ? Une énième démarcation sur les premiers MORBID ANGEL ?
Tout est possible avec une introduction pareille, et le mieux à faire dans ce cas précis est encore d'écouter la musique en question.
Et après avoir pris connaissance des morceaux, on reste assez dubitatif, et ce, pour plusieurs raisons.

Il est d'abord très difficile de croire que MASTERS HAMMER est un groupe qui existe depuis la fin des années 80. Cette musique moderne et rythmique donne le sentiment d'avoir affaire à un jeune groupe, sortant tout au plus son second ou troisième effort, mais certainement pas à un trio de vieux briscards à qui on ne la fait plus depuis longtemps.
Non, l'histoire de ces Tchèques ne date pas d'hier. Leur première démo, The Ritual Murder est en effet parue en 1987, aussitôt suivie d'une deuxième un an plus tard.
Depuis, le groupe a mené sa barque, sorti beaucoup d'autres démos, simples, EP, et surtout, sept album, dont ce petit dernier Formulae.

Il semblerait que leur parcours ait connu un hiatus dans les années 90, mais depuis leur grand retour en format logue durée en 2009 avec Mantras, la machine est bien huilée et les LP se succèdent à un bon rythme. Il faut dire que Franta Storm (seul membre survivant du line up de 1987), Necrocock et Silenthell savent exactement ce qu'ils veulent, et l'expriment sans détour sur les quinze morceaux de ce nouvel album, qui s'il n'évite pas le piège de la redite et de la redondance, propose une vision intéressante d'un BM assez décalé et disons-le...dansant.

Mais à vrai dire, est-ce encore du BM ? La question peut se poser, sans être vraiment primordiale. Si la voix de Franta aiguille sur cette piste, si l'instrumental garde une direction assez sombre et poisseuse, difficile de croire que la rythmique n'est pas plus emprunte d'Industriel et d'EBM. Mais ce mélange entre les deux univers est assez savoureux en soi, et après tout, les quelques passages en blasts sont censés apporter la violence nécessaire à une affiliation Black.
Alors Black Indus ? Electro Black Music ? Les deux options sont viables, à vous de choisir celle qui vous convient le mieux.
Mais rentrons un peu plus dans le détail, ça en vaut largement la peine.

Le Metal sombre des Tchèques est plutôt festif en soi. Il est d'ailleurs assez amusant de constater que le trio peut se voir comme un homologue de l'Est aux locomotives électro SKINNY PUPPY et FRONTLINE ASSEMBLY, dont ils taquinent le répertoire sur "Arachnid".
Tempo upbeat, arrangements électroniques à foison, tapis rythmique smooth et guitares délicatement distordues en arrière-plan, le mimétisme est intéressant, et la voix horriblement rauque et graveleuse de Franta vient dominer le tout pour lui donner cette patine subtilement Death/Black qui les rend si différents.

Si la piste Black nous entrainerait à chercher l'inspiration du mauvais côté, la plupart des pistes nous ramènent vite dans la bonne direction.
Celle des OOMPH !, RAMMSTEIN et autres chantres d'un Tanz Metal à option dansante, avec un soupçon de MANSON par-dessus, et quelques allusions à MEGAHERZ évidemment pour cette alliance entre ambiance froide et attraction du dancefloor qui cligne des stroboscopes en votre direction.
Là est donc la recette fatale du trio. Savoir mélanger la froideur de l'EBM/Indus des 90's, du Métal groove Germanique de la fin de la même décennie, en accompagnant le tout de quelques discrètes allusions Black, plus dans l'enrobage que dans la préparation.
Mais le tout est loin d'être désagréable. Un peu répétitif certes par endroit, ce qui est compréhensible vu la formule adoptée et la longueur de l'album, mais les MASTERS HAMMER ont quand même l'intelligence de travailler leurs arrangements, et de lâcher des riffs costauds en opposition avec ces nappes synthétiques oniriques.

Nous avons même droit à quelques rythmiques bien décalées, et à des couplets martiaux soudain interrompus par des breaks biscornus ("Biologické Hodiny", sur laquelle le chant de Franta rappelle assez Till Lindemann, spécialement lorsqu'il s'époumone en fin de vers), mais aussi à des tentatives plus intenses et délibérément Black ("Jazyky", qui rappellerait presque un VONDUR qui ne jouerait pas faux pour emmerder le monde). Sur ces instants les plus ténébreux, le timbre de Storm se rapproche d'un Attila Csihar, et la musique, sans se départir de ses atours synthétiques adopte des tics plus inhérents au Black progressif de MAYHEM, période post Grand Declaration Of War.

Morceaux courts évidemment, qui ne dépassent que très rarement les quatre minutes, proposant ainsi un format "Pop" à un ensemble foncièrement hybride, sachant s'éloigner de ses obsessions le temps d'une chanson plus atmosphérique et moins groove ("Rurální Dobro").
D'ailleurs de façon générale, la fin de l'album semble revenir à des considérations plus en phase avec les racines BM, toujours traitées de biais avec ce désir de l'adapter à une volonté d'ouverture ("Ukolébavka", au mid tempo redoutablement efficace).

En ressort un album à double facette, assez routinier dans sa première partie, avec des morceaux qui partagent le même groove et la même approche, et plus aventureux et mystérieux dans sa seconde. Un genre de schizophrénie sous contrôle, qui présente un groupe qui ne s'est pas laissé user par les années, et qui garde la même envie de jouer d'album en album.
Vous préférerez ce qui vous sied le mieux, mais je pense que Formulae est le type même de LP qui peut contenter presque tout le monde.

Sans être consensuel s'entend.