SUMAC (usa) - What One Becomes (2016)
Label : Thrill Jockey
Sortie du Scud : 10 juin 2016
Pays : Etats-Unis
Genre : Post Sludge
Type : Album
Playtime : 5 titres – 60 minutes
Lorsqu'on s'apprête à chroniquer un album constitué de cinq morceaux, proposant une heure de musique, on sait d'avance que la tâche va être ardue.
Et ce, même si l'on a déjà eu affaire aux concepteurs, quelques mois plus tôt.
Je vous ai déjà parlé des SUMAC à l'occasion de la sortie de leur premier LP, The Deal, paru l'année dernière, dont j'avais dit le plus grand bien.
Il faut dire que l'affaire en elle-même était assez fascinante. Un all-star cast de premier choix, une musique étrange, compacte et parfois effrayante, et un side-project qui n'en était pas vraiment un, pour finalement s'incarner autour d'un axe principal.
Les mécanismes étaient bien huilés, et tout le monde – y compris moi – savait que l'histoire aurait inévitablement une suite.
Cette suite, elle est là, et sera disponible le 10 juin sous la forme d'un double LP de toute beauté, venant entériner les préceptes énoncés lors du premier effort.
"Effort". Le terme est idoine, et s'applique bilatéralement. Aux musiciens évidemment, qui ont puisé au fond d'eux-mêmes la matrice à modeler, mais aussi à toi, fan et acheteur potentiel qui va devoir t'immerger dans un puits de sons, d'une profondeur insondable, qui t'emmènera au plus profond de ta personnalité. Si tant est que tu aies envie de la découvrir...
SUMAC, on s'en souvient, c'est un triumvirat. Aaron Turner (ISIS, OLD MAN GLOOM, MAMIFFER), Brian Cook (RUSSIAN CIRCLES) et Nick Yacyshyn (BAPTISTS), et le revenant et omniprésent Kurt Ballou derrière la console, c'est une équipe qui gagne, dans la douleur, la patience et la souffrance. Celle des introspections auxquelles ils se livrent, et celle que l'on supporte en écoutant les fruits de leurs réflexions. Si The Deal posait des jalons, laissant du champ libre, What One Becomes restreint les options, les concentre, pour accoucher d'un bloc de soixante minutes passant en revue les obsessions de Turner, qui les présente sous cet angle :
"Le noeud du problème est de remettre en question les structures préfabriquées de l'identité, et ce qui arrive lorsque ces structures sont remises en cause par les contacts extérieurs. Ce fut un processus très complexe à affronter, mais très enrichissant en termes de découverte du chemin de l'individualisme et de la connexion avec son soi profond. Un autre axe que j'ai développé est cette façon de vivre avec la présence tangible de l'anxiété, sans compter sur la Catharsis de la musique pour s'en échapper"
Tout ça vous semble abstrait, un peu égoïste, narcissique ? C'est pourtant une quête comme une autre qui passe par l'expérimentation des couches sonores qu'on assimile à des métaphores, des concepts, des principes d'éthiques censés apporter des réponses à des questions qu'on ne se pose pas forcément.
Mais c'est justement ce genre de questions que les SUMAC affectionnent le plus, celles qui donnent des répondes pas très claires, sujettes au ressenti plus qu'à l'analyse. Freudienne, Jungienne, ou tout autre courant de pensée.
Pensée ou ressenti ? Les deux dirais-je après avoir écouté ce second album qui reprend le travail là où The Deal l'avait arrêté, et en poussant les choses encore plus loin.
Certes, l'approche expérimentale et massive est la même. On retrouve ce Post-Metal traité librement comme un Sludge pas totalement assumé, et qui évolue au gré de structures libres qui se meuvent au son de rythmiques très lourdes et emphatiques. Le tout répond à des impulsions, humaines évidemment, et prend le temps de la réflexion, sans se presser, ce que démontrent très bien les morceaux qui dépassent tous ou presque les dix minutes.
Seul "Image Of Control" se restreint, tout en proposant un maximum d'idées, ce qui semble paradoxal au vu de l'optique rigide privilégiée par le groupe.
Ce même groupe avait lancé sur le net en avant-goût le titre "Rigid Man" que l'on retrouve donc ici. Il est à l'image de ses quatre compagnons de route, lent, lourd et évolutif, avec toujours ces guitares énormes qui traînent leur spleen le long d'un axe basse/batterie massif, qui se permet tout de même quelques libertés de ton et de frappe, sans changer le cours des choses.
La patte d'Aaron est évidemment prédominante, son passé dans ISIS et son présent dans MAMIFFER dominant les options, même si l'homme se laisse parfois aller à des digressions plus complètes que d'habitude, processus culminant tout au long des dix-sept minutes de l'étouffant "Blackout", qui après vous avoir irrité de son feedback et de ses interférences, laisse des percussions profondes et incantatoires accompagner une ligne de cris totalement éprouvante.
La démarche individuelle de SUMAC pourrait se résumer à ce titre fleuve d'ailleurs, qui ne ménage pas l'auditeur. Les coupures, interruptions, itérations se font plus fréquentes et nettes, tout comme les changements de rythme, tandis que le chant d'Aaron garde cette monotonie de gravité qui appuie un peu plus sur le malaise ambiant, pour le transformer en thérapie inversée...
Kurt Ballou s'est une fois de plus débrouillé pour laisser sa patte sur son travail tout en respectant la nature profonde du groupe avec qui il a travaillé, et a laissé la guitare creuser la tombe de ses propres illusions sans accentuer les choses, ni les édulcorer. Il a aussi accompli un travail formidable sur la batterie, lui offrant la profondeur nécessaire sans la laisser se perdre dans l'écho.
Il n'a pas non plus cherché à brider les musiciens, mais a concentré leurs idées en une cohésion parfaite.
Mais ne vous leurrez pas, si What One Becomes offre une variété dans le monolithisme, il n'en reste pas moins une oeuvre éprouvante à écouter. Il faut pouvoir tenir le coup lors de ces longues minutes qui semblent couler à un rythme ralenti, même si les idées sont suffisamment nombreuses pour ne pas laisser la monotonie s'installer. Après, vous voyez la chose comme bon vous semble...
Bloc de douleur incompressible, acceptation de l'anxiété comme précepte musical figé, désir d'émancipation... Tout est envisageable.
Mais la puissance, la force, avant tout. Et une certaine forme de mélodie, presque tuée dans l'oeuf. Peut-être qu'après ça, vous envisagerez votre "moi" différemment. Peut-être que vous accepterez de ne pas pouvoir vous affranchir du poids des questions.
Mais ce qui est certain, c'est que vous aurez écouté quelque chose de différent. De plus sombre, de plus lourd, de plus... incertain.
Paradoxe, quand tu nous tiens...
Ajouté : Jeudi 03 Novembre 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Sumac Website Hits: 6709
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