J'ai toujours un sourire intérieur lorsqu'un musicien cite BLACK SABBATH comme source d'inspiration. Car s'il est une formation dont la musique a énormément évolué au fil des périodes c'est bien celle-ci. Il n'y a pas grand chose à voir entre les albums enregistrés avec Ozzy Osbourne et ceux interprétés par Ronnie James Dio. Et la différence n'est pas uniquement due au chant. Les disques que le Sab a enregistré avec Dio proposent une expérience plus mélodique, plus grandiose, moins sombre que les premiers efforts des brummies. Si les premiers albums ont inspiré le Doom Metal, on peut avancer que Heaven and Hell et Mob Rules jettent les bases du Power Metal. Heaven and Hell a été composé et enregistré par un groupe en reconstruction. Le Sab sortait d'une période difficile avec des albums mal accueillis par le public, des tournées laborieuses, une équipe fatiguée, tendue, assaillie par le doute sur l'avenir du groupe. Si le renvoi d'Ozzy n'a pas ébranlé la détermination de Tony Iommi, rasséréné par l'arrivée de Ronnie Dio au chant, la cohésion du groupe était chancelante. Heureusement, le succès rencontré par Heaven and Hell et la tournée promotionnelle éponyme a remis le Sab d'aplomb. A la veille d'enregistrer son dixième album, BLACK SABBATH dispose d'un line-up stabilisé et soudé : Ronnie James Dio au chant, Tony Iommi à la guitare, Geezer Deezer à la basse, Vinnie Appice à la batterie et Geof Nichols aux claviers. Une première version du disque est enregistrée sur du matériel vintage dans la résidence de John Lennon mais ce master ne convient pas à Martin Birch qui fait réenregistrer le groupe au studio Record Plant de Los Angeles durant l'été 1981.

Mob Rules est taillé dans le marbre qui fait les grands disques. On a beau l'écouter encore et encore, difficile de lui trouver un défaut. Ce dixième opus de BLACK SABBATH reprend les recettes développées avec Heaven and Hell et les pousse encore plus loin. Les musiciens offrent une prestation de haut niveau, où la virtuosité du chant de Dio est servie par une section rythmique de haut vol, des riffs parmi les plus inspirés de la discographie du SAB et la densité supplémentaire apportée par les claviers, utilisés pour combler les vides en enrichissant considérablement l'aspect majestueux et étrange des compositions. La construction de la tracklist est cohérente et variée. Tony Iommi a toujours apprécié le mélange des ambiances, utilisant les morceaux plus légers pour souligner la lourdeur de ses pièces maîtresse. Des hymnes imparables et des morceaux épiques alternent avec des pièces plus courte et rentre dedans. C'est la le trait de génie du disque : ne pas chercher à assommer sous les décibels et éviter l'indigestion de gros morceaux. Privilégier l'alternance des genres et des durées. Construits selon le même schéma narratif : une intro acoustique et posée débouchant sur une composition lourde, agressive et grandiose, les deux pièces maîtresses de la tracklist, "Sign of The Southern Cross" et "Falling of the Edge of the World" sont encadrées par des chansons plus faciles d'accès et directes comme le très catchy "Turn Up The Night", l'enragé "Mob Rules", le puissant "Voodoo" et les plus mineurs "Country Girl" et Slipping Away". Le Sab renoue aussi avec la traditionnelle piste instrumentale étrange, "E5150" (la traduction en numérotation arabe du mot EVIL écrit en chiffres romains) et ses sonorités venues d'une autre planète. Enfin, l'album s'achève sur l'une des plus magnifiques power ballades de l'histoire du Metal, "Over and Over" et son final en apothéose.

Mob Rules est un peu la consécration de la collaboration de Dio avec BLACK SABBATH. On sent le chanteur bien plus en confiance que sur Heaven and Hell. Son influence se ressent bien au-delà du chant et des lyrics. Certains morceaux annoncent presque ce que Dio fera bientôt avec son propre groupe ("Sleeping Away", "Country girl"). Malheureusement, le torchon brûle déjà entre les américains (Dio et Vinnie Appice) et les anglais (Tony et Geezer). Divergences d'approches, divergences de caractères, le flegme britannique ne faisant pas toujours bon ménage avec l'expansivité superficielle des américains, luttes de pouvoir entre le chanteur et le guitariste. Ces tensions sont accentuées par le souhait exprimé par Dio de monter un side project solo. Finalement, durant le mastering de l'album Live Evil, les tensions atteignent leur paroxysme et Tony et Geezer finissent par virer les deux américains accusés par l'ingé son de trafiquer les bandes chaque soir. La brouille, qui durera presque dix ans, met un terme brutal au problème. Après deux ans de stabilité, le Sab se retrouve une nouvelle fois plongé dans le chaos.