MALLORY (FRA) - Sonora R.F, Part I (2016)
Label : Musicast
Sortie du Scud : 18 Mars 2016
Pays : France
Genre : B.O Rock
Type : Digital/CD
Playtime : 10 titres – 37 minutes
Moi j'aime bien les concept-albums. Suivre une histoire en détachant les mots et les notes, pour en trouver les points communs, et puis réassembler les deux pour capter le sens profond... Cette sensation de lire un livre pour les yeux et les oreilles, ça me rappelle ces petits 45 tours de mon enfance, avec le carillon en fin de face pour retourner le disque...
Bon, ça n'a pas toujours une grande valeur littéraire intrinsèque, mais c'est un univers, dans lequel tu te plonges, c'est rassurant, envoutant, parfois amusant... Même si la musique finalement prend souvent le pas sur le texte, même dans le cas béni de Melody Nelson...
Alors, un groupe dont l'histoire même est un concept, que l'on retrouve et suit à chaque album, c'est une aventure qui ne se refuse pas, surtout lorsque c'est bien fait.
Kérouac ? Ginsberg ? Thompson ?
Oui, un peu tout ça, entre la Nouvelle Vague française et le Road trip US, sans drogue mais avec pas mal de vécu, des blessures, et de l'authenticité. Parce qu'une histoire ne touche jamais autant que lorsqu'elle est vraie. Même en fiction, la vérité. Il n'y a que ça.
C'est ça MALLORY. Une femme qui part, qui bourlingue et rencontre des musiciens, qui se prennent de tendresse pour elle et décident d'écrire le roman de sa vie. Pas facile sa vie d'ailleurs...
Un quatuor parisien, qui un jour tombe sur cette femme pas comme les autres qui préfère vivre et souffrir que d'attendre et mourir.
Un truc à mettre en fausse partition mais à jouer avec l'âme et le cœur, ce qu'ils ont fait sur les deux premiers tomes du périple, Honey Moon et 2. Mallory à cinquante ans, à tout plaqué dans les années 80, et un jour, dans un bar, tombe sur des mecs, plutôt sympa, qui l'écoutent. Alors elle raconte...
Et ce qu'elle raconte sert de matrice, pas celle de Gérard Manset, plutôt une dérive à la Détroit, ou Los Angeles, d'ailleurs l'espagnol n'est pas si incongru puisqu'elle se retrouve aujourd'hui au Mexique, dans une position assez fâcheuse et inconfortable.
Je ne vous résumerai pas les deux premiers volets de son histoire, ils sont dispo et bien détaillés sur le site du groupe, et puis de toute façon, vous avez plutôt intérêt à les lire et les écouter. Parce que ça en vaut la peine.
Troisième chapitre du roman, Sonora R.F, Part I est introspectif, beaucoup plus en tout cas que Honey Moon ou 2. La lune n'est plus de miel, mais de sang, de doutes et de pénombre, et cet album sait une fois de plus trouver les tonalités justes...
Le mélange de français et d'anglais pourrait faussement aiguiller sur la piste de NOIR DESIR bien sur, et d'ailleurs, sur un morceau comme "Cellule 7", le chant de Phil colle à la peau des inflexions de Bertrand, mais rappelle Daran, sans ses chaises... Les noms vous font peur ? Mais ne craigniez rien, car même si régulièrement MALLORY s'aventure en terrain Rock plutôt que Hard Rock, son cheminement l'oblige à emprunter des voies plus intimistes... Et puis qui a dit que LED ZEP n'avait joué que du Hard brûlant ? N'étaient-ils pas Rock avant tout, voire Blues ? Car c'est bien dans cette décennie qu'il faut chercher l'inspiration des parisiens, qui refusent l'évidence de guitares réglées sur un gros son/écran de fumée... La fumée, c'est celles de clopes que Mallory fume, celle qui s'échappe des moteurs qui ont trop chauffé... Et de l'amour qu'on cherche au creux d'une nuit trop froide...
Sonora R.F, Part I est bien évidemment d'une grande cohérence. On ne raconte pas la vie d'un personnage sans adhérer à une certaine logique, et pourtant, il est aussi à l'image de l'épisode chaotique de l'existence de cette femme qui se retrouve dans un pays qui n'est pas le sien. Il évolue au gré des humeurs, des sentiments, un peu perdu mais qui se retrouve au creux d'une inspiration musicale multiple. Et surtout, il est d'une richesse incroyable, puisant ses vers mélodiques au creux des années 90 autant que chez les DOORS ("Shu", sur ce coup-là, la voix de Phil paye son tribut à notre cher Jim, et se place en ligne médiane entre "Waiting For The Storm" et "Roadhouse Blues").
On retrouve dans les chansons de ce troisième album des traces d'un certain Rock français de grande classe, un peu des DOGS, la rudesse des VIRAGO parfois, mais aussi l'âpreté du Détroit des 70's... Et surtout, un son, un putain de son qui règle ses comptes à ce putain de pro Tools qui fait sonner une batterie comme un gimmick et non comme la pulsation qu'elle devrait toujours être...
Les toms résonnent, la caisse claire mâte à de l'écho, la grosse caisse est profonde, mais ne se perd pas dans un écho futile... Et que ça fait du bien d'entendre ça à nouveau...
Alors oui, l'ombre semble maîtresse. L'ambiance est lourde, suintante, comme des heures passées sous le soleil à attendre que le destin se décide. Et ça, le groupe l'a bien pigé en commençant par "On The Shelf", un peu Tarantino sur les bords, un peu CAVE aussi, avec des accents à la Seattle des 90's... Guitares qui traînent leur désespoir, percussions lancinantes, comme un Chris Isaak dont le charme n'opère pas sous les latitudes mexicaines... Pas assez usé sans doute.
On se souvient à ce moment-là du 7 WEEKS de Dead Of Night, mais les MALLORY n'aiment pas l'horreur pure, ils préfèrent celle du quotidien qu'on n'anticipe pas...
Et notre Thelma sans Louise ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive. Elle rencontre "Suzanne", qui le long d'un Rock sensuel et chaloupé lui prodigue quelques conseils de survie, mais doit aussi regarder fixement les barreaux de la "Cellule 7", rouillés par des arpèges figés par le temps, une "escapade sous la lune" qu'on retrouve encore mais qui ne brille pas vraiment... Encore le NOIR DES' évidemment, un peu Daniel Darc aussi, et puis un Folk Blues crépusculaire...
Crépusculaire ? La voix l'a bien pigé, et "Silex" retrouve enfin la rage des deux premiers albums, sans entrer en contradiction avec ses choix antérieurs. Solo qui plie l'échine sous la douleur, mais qui termine quand même ce qu'il a à dire, et qui se fait porter par une construction en évolution de peur qui commence à faire blanchir la peau.
Et cette peau, c'est celle des "Mille et Unes Femmes", qui en tant qu'épilogue provisoire se pose en rappel comme en ouverture. La sensualité des corps qui se touchent dans un contexte qui ne suggère pas vraiment l'amour, la privation de liberté qui exacerbe les sens, et une fois de plus, le groupe trouve les notes justes, comme un TOOL qui se frotterait à l'incarcération des KYUSS. Progressif mais viscéral, sombre mais plein de lumière, des cris, de la rage, de la passion... Et... plus rien.
Oui, Sonora R.F, Part I est un album ambitieux qui pourtant respire l'authenticité, le naturel. Un truc vécu mais qui sait se raconter, pour peu que le narrateur trouve les mots adaptés. Plus difficile et introspectif que Honey Moon et 2, mais aussi riche, et qu'on regarde/écoute comme un film ou un livre. Le roman d'une musique qui n'a pas d'équivalent de nos jours, humaine, brillante, douloureuse, mais enivrante...
Si Melody Nelson regardait son reflet juvénile dans les vitres brillantes d'une Silver Ghost de 1910, Mallory voit son visage brûlé par la chaleur des prisons du Mexique. Pas le même âge, pas le même destin, mais après tout, chaque femme est vue par un autre homme. Et le regard de MALLORY sur leur héroïne est admiratif, et la rend si belle...
Ajouté : Samedi 09 Avril 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Mallory Website Hits: 6134
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