Comme aujourd'hui, alors que nous sommes à la lisière de l'automne, le soleil s'est montré pendant quarante sept secondes, ça m'a saoulé. Alors j'ai décidé d'aller me réfugier dans un pays froid, sombre, où je ne risquais pas d'insolation. Oui, c'est comme ça.
Et quoi de mieux que la Finlande comme destination glaciale ? Rien, je l'admets, et ça tombe bien, puisque j'y ai rencontré un drôle de groupe qui pratique une bien drôle de musique...

Après un premier EP au titre imprononçable en 2013, Vieraantuneet (qui veut certainement dire quelque chose de pertinent, mais je ne parle pas le finlandais), AGASIA propose depuis août de cette même année un plus ou moins longue durée d'un peu moins d'une demi heure qui je l'avoue m'a laissé fort perplexe, mais vraiment séduit.
Trois morceaux pour un LP, c'est peu, mais long vu le style pratiqué. Comme bon nombre de ses homologues nordiques, AGASIA développe un joli sens Crust aiguisé, mais va tellement plus loin dans le mélange des styles qu'au bout du seul premier morceau, on ne sait plus trop bien à quoi/qui on a affaire. Celui ci, "Raadeltu Maa (I Kruunuttomat - II Kolmen Talven Jälkeen)" dure en effet plus de onze minutes, ce qui vous en conviendrez, est assez singulier pour un genre qui se revendique de brièveté et instantanéité. Mais loin d'être roboratif ou répétitif, ce titres est un gigantesque fourre tout durant lequel le gang expérimente tout ce qu'il peut, avec brio.

La base est résolument Crust et D-Beat, mais de nombreux passages très lourds viennent altérer la vélocité ambiante, n'hésitant pas à piocher allégrement dans le Doom, le Sludge, pour produire un résultat étonnant, comme si les URSUT décidaient de se lancer dans la compo épique et brutale.
Alors ça déroule, avec évidemment un son sec, mat et ample, et la rythmique tient le coup malgré le risque d'usure. Le chant est hurlé avec modération, les riffs sont classiques, mais ce développement étrange fascine, et du coup, place AGASIA à la croisée des chemins. Certes, leur background est Crust/D-Beat, on ne peut le remettre en question, mais cette alternance de furie et de pesanteur les éloigne d'une pureté de choix, et semble un peu roublard dans la méthode.
Qu'importe, le résultat est là, vous avez ingéré un morceau de presque douze minutes, et le reste est à peu près du même tonneau.
<rb> Et justement les deux autres morceaux de ce LP/EP (disponible en vinyle sur le bandcamp du groupe), développent plus ou moins la même thématique complexe et dense sur plus de sept minutes chacun. "Unohdetut" démarre dans un déluge de larsen, avant d'imposer un tempo lourd et martial. Guitare qui reste dans la même lignée sombre et déliée, avant que la double grosse caisse ne rentre en piste, suggérant quelques racines Raw Black surprenantes. L'atmosphère reste aussi trouble et lourde, mais les influences changent encore, à tel point qu'on a soudain le sentiment d'avoir complètement changé de créneau. Rien ne bouge pendant quelques minutes, se confinant dans une agression compressée et nihiliste, avec toujours cette rythmique métronomique qui écrase tout sur son passage, avant que les Finlandais ne reviennent dans le giron Crust/D-Beat lors d'une transition parfaite et abrupte. Le Black se mue en Punk, mais la violence n'est pas modérée pour autant...

Le title track, "Korpit" lui adopte une démarche inverse, reste classique dans son entame, et suit le cours d'un Crust assez noir et empesé, qui semble porter tout le désespoir du monde sur ses épaules. Et puis, en plein milieu, une nouvelle cassure brise la ligne droite, et le tempo ralentit, pour virer Hardcore presque downtempo, laissant la batterie une fois de plus accentuer les fractures de ses breaks constants. Le long final en coda ne déviera plus de ce choix, et l'intensité augmente en crescendo, avant que le silence ne s'impose.

Voilà un album qui donne matière a réflexion. Si les premières minutes laissent présager d'une certaine uniformité, celle ci est rapidement brisée pour permettre à AGASIA d'explorer plusieurs chemins différents, tout en gardant cette cohérence de ton assez proche du Depressive Black, basée sur des mélodies sobres et tristes, et une puissance qui se répand à son bon vouloir.

Que tout ceci soit Crust, D-Beat, Sludge, Hardcore ou même Black importe peu, le mélange est savoureux, et souffle un vent glacial sur vos oreilles. Peut être un nouveau style en gestation, en tout cas une belle dynamique.

Quel album bizarre en tout cas, loin du tout venant...

Tiens, le soleil revient... Il a du comprendre que j'avais besoin de me réchauffer.