HATE & MERDA (it) - La Capitale Del Male (2016)
Label : DioDrone
Sortie du Scud : 21 Janvier 2016
Pays : Italie
Genre : Post Noise
Type : Album
Playtime : 7 titres - 38 minutes
Folie à deux.
C'était le titre d'un épisode des X-Files, mais ça pourrait tout aussi bien décrire ce deuxième album des italiens de HATE & MERDA.
La Haine et la Merde. Est-ce une façon de présenter les deux seuls musiciens de ce projet décidemment très particulier ? Ou est ce simplement une description du monde dans lequel ils évoluent, une métaphore de la condition humaine ? Un peu des deux peut être, tout ce que je sais, c'est qu'ils représentent une certaine vision de la Commedia Dell'arte post moderne, diablement réaliste et de fait, déprimante et alarmante.
Ne cherchez rien à quoi vous raccrocher lorsque vous écouterez ce deuxième album. En tout cas, rien de positif. A moins que la lucidité résignée et le nihilisme soient pour vous des exutoires constructifs.
Ce groupe nous vient donc de Florence, Italie, et nous parle... du mal. De la Capitale du Mal plus précisément. Ce qui attire l'oeil au prime abord, c'est cette splendide photographie de pochette, qui selon les musiciens pourrait incarner une assemblée de fantômes, une photographie de classe, un enterrement, et que sais je encore. Toujours est-il que son graphisme est fascinant, avec ces visages fermés, ces attitudes figées, cette absence d'informations qui laisse une grande part à l'imagination...
C'est sans doute la meilleure façon qu'ils auraient pu imaginer pour nous "obliger" à pénétrer leur monde, et ça fonctionne...
Leur monde justement est sombre, opaque, difficile à déchiffrer. Et après un premier album, L'Anno Dell'Odio sorti en 2014, les Florentins reviennent avec un second effort encore plus intrigant et inclassable. Pour certains, il faut chercher la clef du côté des BODY, de THOU, FUDGE TUNNEL, en gros, la crème des Post Indus bruitistes qui ne rechignent pas à puiser leur essence dans un Hardcore viscéral et épidermique. C'est une éventualité, et surtout, un moyen d'éclairer un peu le mystère.
Ils sont deux, mais pourraient être cinq, ou ils pourraient être seuls, chacun de leur côté. D'ailleurs, ils refusent leur identité, au point d'apparaître avec des bas noirs sur le visage, et nient même jusqu'à leur propre nom. Mais loin d'être un concept à la SLIPKNOT, c'est plutôt un moyen de se focaliser sur le plus important, la musique. Elle même dépendante d'un concept animé, et jonché d'interventions parlées qui donnent à cet album des airs de film étrange, de livre inquiétant, qui évolue le long de chapitres sombres et laissant traîner des indices pas vraiment rassurant. Musicalement, l'affaire est à la hauteur des ambitions du projet. On passe en revue le Post Hardcore, l'Ambient mélodique, le contemplatif pas encore Shoegaze, pour un rendu suffocant qui ne laisse en aucun cas filtrer la lumière et encore moins l'espoir. Sous quelle forme que ce soit.
"Tout ce que contient cet album est une description de la réalité. Une réalité personnelle et proche de nous. Les personnages sur la pochette, ceux dont nous parlons dans les textes. Ceux qui ont travaillé sur l'album, tout comme ceux qui l'ont conçu."
Ce disque est donc la concrétisation d'une réalité, bâtie comme une progression inéluctable, une plongée en apnée dans le mal qui nous représente en tant qu'individus, mais qui n'a de cesse de nous ronger de l'intérieur. Et c'est justement le trait de plus prononcé de l'approche de ce duo italien qui ne semble avoir pour unique but que de décrire la douleur d'une existence, et celle d'une histoire.
Celle qu'ils racontent dans cette Capitale du Mal, qui pourrait être Florence, Paris, ou tout simplement, notre âme et notre coeur.
Cette progression se fait au long de morceaux qui ne peuvent être catalogués ou étiquetés. HATE & MERDA se laissant guider par ses humeurs noires. On pourrait dans un désir de vulgarisation les rattacher au wagon Post Hardcore, à la limite du Post Rock d'ailleurs, mais on trouve tellement d'éléments disparates qu'il serait trop réducteur d'être catégorique.
Ni Sludge, ni Doom, ni Noise, ni Core, mais tout ça à la fois, l'évolution nous emmène tranquillement vers un final claustrophobique de plus de neuf minutes qui explose d'une haine trop longtemps contenue, et qui laisse déborder du vase des riffs compacts, au son rouillé, et des incantations vocales hurlées comme un désespoir qui vous ronge les chairs.
Le spectre de NEUROSIS montre son visage décharné sur la pochette, et le silence central s'impose, à peine rompu par des murmures, avant que la longue coda finale n'impose une guitare qui se traîne, et des arrangements qui montent en puissance.
Mais avant d'en arriver la, la déconstruction presque Post Math Noise de "Foh" aura mis vos nerfs à rude épreuve.
Le diptyque "In Itinere" / "La Capitale Del Mio Male" aura imposé les espaces positifs qui tentent de redonner vie au vide existentiel et musical. Les samples se fraient un chemin dans la suffocation ambiante, racontant une histoire qui nous concerne tous, et la violence intérieure s'exprime par tous les moyens, parfois bruitistes ("La Capitale Del Mio Male", Post Noise digne d'un HEAD OF DAVID qui noie son chagrin dans la calice de THE BODY), parfois mélancoliques et presque Indie ("In Itinere", rare moment d'apaisement paradoxalement très malsain et ambivalent).
La Capitale Del Male est une immersion dans ce que la nature humaine a de plus fondamental et indéniable. Cette part de douleur, de haine, de colère qui nous anime toutes et tous. Cette haine qui s'exprime au travers d'un médium musical extraordinairement chaotique et pourtant limpide de radicalisme.
On peut refuser de pousser les portes de son inconscient, et donc de ne pas écouter cet album, mais le faire reviendrait à nier une part de nous même qui existe bel et bien.
Plus prosaïquement, ce LP est une oeuvre complète, que peu de gens auront la chance d'écouter sans doute, mais qui mérite amplement sa place parmi les icônes de la cathédrale de l'extrémisme musical.
Mais rarement musique aura été si noire. Rarement musique et attitude auront été en si parfaite adéquation. Et pour en savoir plus, regardez cette fabuleuse pochette.
Vous pourriez y reconnaître un aïeul. Y voir une ressemblance. Y voir la vie ou la mort, les deux.
Ou pire, comme dans un final à la Kubrick, vous y voir vous.
Ajouté : Vendredi 05 Février 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Hate & Merda website Hits: 6075
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