NIGHT (FRA) - Night (2015)
Label : Hidden Marly Productions
Sortie du Scud : 4 octobre 2015
Pays : France
Genre : Post Black Expérimental
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 41 Mins
J'ai toujours eu une profonde affection pour les gens qui tentent. Quitte à ce que le résultat soit planté dans les grandes largeurs, qu'il soit borderline, ou approximatif, j'aime l'innovation, la prise de risque. Ne pas se cantonner à un style et le respecter religieusement. C'est ainsi, je n'y peux rien.
Et les artistes qui osent se font de plus en plus nombreux, quel que soit le domaine artistique. J'en suis moi même ravi, surtout lorsque j'ai la chance de tomber sur leur oeuvre et de pouvoir en parler.
Parfois, c'est un détail qui attire mon attention. Une formulation, un concept, ou même plus prosaïquement une pochette de temps à autres.
C'est ce dernier cas de figure un peu ridicule qui m'a poussé vers NIGHT.
Les NIGHT (Lycaon, Khaled, Tony Ironlungs, Tristan, Jynx) nous viennent de Metz, ville austère de Lorraine, et sont actifs depuis 2010. Après une première démo, puis un split avec SICK GENIUS, ils ont sorti un drôle de live en forme de maquette (Made In France), pour aboutir finalement à l'enregistrement de ce premier album au parfum envoûtant, et à la forme surprenante. C'est justement cette forme qui m'a intrigué au prime abord, cette superbe pochette monochrome flanqué d'une photo de la pauvre et magnifique Eva Ionesco, fixée une énième fois par sa mère lorsqu'elle était encore enfant. Pose lascive, maquillage outrancier, bas, érotisme bien trop précoce et déplacé, l'histoire est glauque, et c'est pour cette raison que je me suis penché sur ce qu'elle pouvait bien cacher.
Glissé à l'intérieur, un panel de huit morceaux, ambitieux, versatiles, hétérogènes, mais animés d'une même violence aussi larvée qu'ouvertement exprimée, frappée du sceau Black. Mais du Black, très souvent, le quintette n'a retenu que la crudité du propos musical, son nihilisme littéraire, pour en proposer SA version, qui si elle colle régulièrement aux principes édictés par le genre, se permet aussi d'indéniables libertés créatives bienvenues.
NIGHT, sans provoquer l'originalité à tout prix, à travaillé son répertoire, affiné ses ambiances, sans céder la puissance à l'originalité à tout prix. Le groupe a ménagé quelques pistes très surprenantes, mais déploie une richesse d'humeurs étonnante, tout en pulvérisant les standards de violence assez régulièrement. Leur Black est trouble, comme animé de desseins plus ou moins francs, à l'image de cette pochette au pouvoir d'attraction quasi mystique, plaisir visuel coupable devant l'éternel.
En guise de mise en bouche, le quintette à lâché un morceau en amont, le terriblement prenant "Georges de la Tour", en hommage au peintre Lorrain du même nom, maître du clair obscur dans son oeuvre. Et ce morceau est justement à l'image du travail pictural de l'artiste, sombre, mais inondé de temps à autres de puissants rais de lumière, comme s'il était vraiment évident que sans soleil, la nuit n'existerait pas. Absence de lumière provocant le noir absolu, c'est aussi un des credo du groupe qui la laisse filtrer pour mieux troubler et guider dans la nuit noire de leur philosophie.
On peut lire sur le site de distribution :
"Des sentiments crus et sincères. Célébrons la tragédie de nos vies normales. De la haine pure venue des terres de l'amour, la vérité, pour les véritables"
Un peu abscons, ce propos une fois transposé est assez fidèle à la musique déployée sur les pistes de ce premier album, Night.
S'il fallait devenir prosaïque, mais le procédé me rebute un peu lorsque je tombe sur une oeuvre atypique, je dirais que le Black des Lorrains est pluriforme. Qu'il s'abreuve à la fontaine originelle du Raw Black, qu'il en tire des influences dépressives, mais aussi riches comme le Classic Folk, et qu'ils adaptent leur approche à leur culture.
Tout commence d'ailleurs par un passage en complet trompe l'oeil, comme une fenêtre peinte sur une façade aveugle, et "Vos Larmes n'y Changeront Rien" de laisser s'étaler un sample lacrymal, qui s'évanouit sur une basse seule, avant qu'une sorte de Rap hardcore n'emporte les débats. Etonnant, et risqué de placer un tel morceau en ouverture d'un premier album. Mais quelle réussite dans cette façon de singer NTM et ASSASSIN pour brouiller les pistes... Car tout finit par éclater à la surface, lorsqu'un Black hautement corrosif envahit l'espace...
Il est bien sur hors de question de traiter l'analyse en track by track, car Night s'appréhende dans sa totalité, et repose sur un principe de richesse, de foisonnement d'idées qu'il serait déplacé de disséquer. Je me bornerai à vous donner quelques indices, en abordant le cas de deux pistes qui selon moi se démarquent plus que les autres.
Le précédemment traité "Georges de la Tour", monstre de six minutes qui navigue en eaux agités, parfois soumises à des courants Black ascendants qui provoquent des tourbillons de blasts sur riffs acérés, ou de soubresauts Néo Pagan à tendance Folk, avec instruments classiques, violons, nappes, qui aplanissent la surface et laissent une brume nostalgique y flotter, comme le fantôme d'un style qu'on croyait à jamais figé. Le nom d'ELEND vient à ce moment là à l'esprit, pour cette confrontation entre mélodie classique et violence abrasive et noire, mais BLACK est tellement sur de son fait que cette comparaison s'invalide d'elle même à peine énoncée.
Et puis bien sur, "Le Voyageur Imprudent (Dernières Pages)" de s'imposer sur le volume, avec plus de dix minutes d'errance totale, morceau épique par excellence.
Le principe est le même, entame acoustique et instrumentale douce et nostalgique, avant que la nature nihiliste ne reprenne sa place, pour un Black variant les rythmiques, les lignes de chant (certaines sont scandées, d'autres hurlées), et Barjavel de trouver un nouvel écrin à son oeuvre. La haine atteint son apogée, sous une forme de conte mis en musique, et le groupe n'hésite pas à mettre l'emphase sur tous les aspects les plus caractéristiques de sa musique, appuyant encore plus les assauts Raw Black, Symphonic Black, ou purement instrumentaux. D'une finesse totale nuancée d'une brutalité outrancière rappelant légèrement MISANTHROPE en beaucoup plus grandiloquent et violent, ce dernier morceau valide l'impression de départ, d'avoir affaire à un groupe aux idées riches et développées jusqu'au bout. Car NIGHT ne se contente pas de proposer, il planifie, tout en gardant une certaine spontanéité, et va jusqu'au bout de son plan de route, avec un brio indéniable.
Night est une pièce de musique rare, troublante, perturbante, mais fascinante. Sombre, mais lumineuse à l'image des tableaux de Georges de la Tour. Candide, mais impudique à l'image de cette photo d'Eva en couverture. On peut prendre du plaisir à l'écoute, sans se sentir coupable de privilégier des auteurs qui osent. Il n'y a un peu de voyeurisme à observer des bâtisseurs du risque en tremblant de les voir échouer. Mais il y a énormément de plaisir à les regarder et les écouter réussir leur pari d'équilibre.
Ajouté : Vendredi 09 Octobre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Night Website Hits: 7388
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