Bonjour, tristesse. WAR FROM A HARLOTS MOUTH, ce sont ces noms qui reviennent avec récurrence dans la carrière d’un chroniqueur. Pendant 364 jours, on oublie le plaisir qu’un tel groupe procure durant le 365ème. Et à cause de Voyeur, leur quatrième full-lenght, cette journée ne ressemblera à aucune autre. Les mots me manquent pour parler de ces Allemands. Avec eux, j’ai l’impression d’épuiser mon stock de superlatifs. Parce qu’à chaque nouvelle sortie, il se passe quelque chose d’inexplicable. Et comme son nom l’indique, l’inexplicable ne s’explique pas. Alors on théorise, on fait des hypothèses. Et si cet album était plus truc que celui-ci ? Et s’il était moins machin que celui-là ? A la fin de cet examen de conscience, on n’a pas plus de réponses rationnelles à apporter à un tel phénomène. On a juste les oreilles en compote et le cerveau en vrac. Dieu merci, l’époque In Shoals n’est plus qu’un lointain souvenir. Je ne serais assurément plus capable de supporter ça une deuxième fois.

Déjà avec son MMX de 2010, WAR FROM A HARLOTS MOUTH avait commencé à renoncer publiquement aux loufoqueries d’In Shoals. Voyeur va plus loin. Il est un désaveu, un mea-culpa, une surprenante palinodie. Le ciel rose bonbon des précédents efforts, fendu d’éclairs jazzys, de polyrythmies énigmatiques, d’épisodes nuageux imbibés de Lounge Music s’est considérablement noirci. Noir, comme le noir de cette pochette qui est le symbole de ce déclin. Tout commence par de sombres notes de violoncelle, qui évoquent la performance remarquable de Caroline Dale sous la houlette de Robert Ziegler sur la bande-originale du film There Will Be Blood. Le genre d’intro poignante, remuante. Peut-être le seul moment de lucidité de cet album. La suite sera la matérialisation musicale de la descente aux enfers la plus vertigineuse de l’année, si ce n’est de la décennie. J’ai rarement entendu une dégradation aussi brutale dans l’humeur d’un disque par rapport à son prédécesseur. Ok, MMX avait déjà amorcé un semblant de chute. Mais qui aurait misé sur les ambiances funèbres et mortuaires d’un groupe qui avait fait du Mathcore pétillant sa marque de fabrique ? La surprise intervient dès « Vertigo », cet étrange mélange de Grind et de Doom qui fait véritablement l’effet d’une bombe, dans la mesure où cette piste est représentative de la folie noire qui ronge cette œuvre. On savait que WAR FROM A HARLOTS MOUTH est une formation qui n’a jamais eu de maitrise de soi, de là à ce que ça aboutisse sur quelque chose d’aussi dantesque, il y avait un monde. Ce Voyeur s’articule autour de guitares totalement lunatiques, capables de fulgurantes accélérations comme de rythmes lourds et suffocants. Les distorsions ont également ici une belle longévité, puisqu’elles renforcent ce côté Black / Doom franchement inattendu. Loin de toute forme de bouffonnerie, ces Allemands ont le vice dans la peau. A la fin de ces quelques treize compositions épuisantes, on se sent comme mort physiquement, totalement vidé de toute forme d’humanité. Voyeur est parvenu à ses fins sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit. C’est aussi là, tout le talent d’un groupe qui, peu importe son humeur, est constamment en état de grâce musicale.

Grand, grand, trois fois grand. Les années passent, l’impact reste le même. Ecouter WAR FROM A HARLOTS MOUTH fait de chaque journée quelque chose d’épique. Ce groupe a su évoluer à contre-courant et quoiqu’il se passe, c’est la même rengaine. Il y a un peu de ce qu’on appelle « talent » dans chacune de leur sortie. Il va sans dire que la dernière en date a tout pour elle. Surprenante, intelligente, écrasante, changeante. Je ne sais pas si ça file un tel bourdon de signer sur Season Of Mist, mais en tout cas, Voyeur méritait bien cet éloge funèbre.