ATHEIST (usa) - Unquestionable Presence (1991)
Label : Active Records
Sortie du Scud : 30 août 1991
Pays : Etats-Unis
Genre : Death Metal Technique
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 32 Mins
Il y a des albums qu’on ne voit pas venir. Les prémices sont tangibles, après coup bien sur, une fois les bonnes questions posées, mais la surprise reste de taille. On est généralement hébété, bouche bée, le geste gauche et la compréhension en berne. On appelle ça des OVNIS. Ils atterrissent au milieu de nulle part, et sont principalement repérés en leur temps par quelques observateurs curieux ou acharnés, et une poignée d’initiés, faisant partie d’un cénacle dont on ignorait l’existence même.
Il faut avouer que la composante principale du Death Metal, tout du moins dans ses origines les plus pures n’était pas vraiment la finesse instrumentale. Si l’on admet Seven Churches de POSSESSED comme point de départ du mythe, et Scream Bloody Gore de DEATH comme détonateur du mouvement, difficile d’y trouver quelconque nuance dans le propos. Il fallait principalement jouer vite, hurler grave et fort, et disposer d’une iconographie suffisamment explicite. Concept que CANNIBAL CORPSE allait d’ailleurs pousser à son paroxysme.
OBITUARY allait bien sur enfoncer le clou, et il fallut attendre les premières œuvres de MORBID ANGEL et NOCTURNUS pour voir poindre les premiers rayonnements atypiques, exigeant de la part des instrumentistes un maximum de savoir-faire, tant au niveau de l’interprétation que de la composition.
Ainsi naissait le Death Metal technique.
Chuck Schuldiner allait vite s’y consacrer. En 1990, lors de la sortie du troisième album de son groupe originel, le nuancé Spiritual Healing, le guitariste/grogneur montrait déjà des signes avant coureurs de complexité instrumentale, à un stade relativement précoce. Mais c’était déjà la faille, le passage vers une autre dimension. Ne plus courir pour détruire, mais bien achever sans laisser de trace. Et nombre de combos allaient s’engouffrer dans le trou de souris.
Mais un an auparavant, un autre ensemble venant aussi de Floride (à croire que les costumes de Sonny Crocket dans Miami Vice avaient tellement énervé les gens que tous n’avaient d’autre but que d’exprimer leur colère en musique…) avait déposé son obole sur l’autel de la technique, d’une façon un peu brute certes, mais indéniable.
ATHEIST et son Piece Of Time avait suscité une interrogation timide chez bien des journalistes. Trop fin pour être du Death, mais trop brut et brutal pour être du Thrash.
Death technique ? L’antinomie avait de quoi provoquer le sourire, mais elle n’en était pas moins réelle.
Mais attention, Piece Of Time est à Unquestionable Presence ce que Spiritual Healing est à Individual Thought Patterns. Un brouillon génial certes, mais un brouillon quand même.
Et tout comme METALLICA, qui de Kill’Em All à And Justice For All n’avait eu de cesse de s’affiner, pour finir par verser dans le Techno Thrash le plus inextricable, ATHEIST a connu la même progression. A la seule différence qu’ils n’ont mis qu’un seul album à trouver la recette. Et qu’ils ont poussé le concept jusque dans ses derniers retranchements, de quoi donner à CORONER et WATCHTOWER des complexes d’infériorité.
Un autre détail réunit les four horsemen à nos Floridiens. La perte de leur bassiste, quasiment dans les mêmes circonstances.
Le regretté Roger Patterson, qui illuminait Piece Of Time de ses lignes de basse inventives et complexes fut lui aussi fauché. Non par un bus dans lequel il voyageait, mais dans un accident de van. Et Kelly Shaefer et sa bande eurent encore plus de mal à s’en remettre que James, Kirk et Lars.
Ils avaient aussi perdu un ami, et une revanche à prendre sur le destin.
Même si Roger avait eu le temps de coucher les pistes rythmiques sur l’album à venir, ce fut Tony Choy qui enregistra pour de bon. Mais la disparition engendra un album aux thématiques sombres et lucides sur la vie en général, et l’importance de la survie de l’âme au détriment du corps, la destruction systématique de la nature par l’humain, l’existence d’une vie extra terrestre et autres vecteurs cosmiques, zen, et bio avant l’heure. Exit les zombies, les meurtres à la chignole géante et autres équarrissages barbares en règle. La donne change, le Death peut aussi être intelligent et provoquer la réflexion.
Mais au-delà des textes, c’est surtout la musique qui provoqua un véritable coup de tonnerre dans le Landernau de l’extrême. Le mélange de technique et d’efficacité on connaissait déjà. Malheureusement, c’était souvent au détriment de l’un sur l’autre, et donnait soit des arabesques interminables et pénibles, des chansons au service de la dextérité et non l’inverse, soit des morceaux efficaces, mais pas vraiment hybrides ni inspirés.
Unquestionable Presence à contrario, était incroyablement technique ET débridé. Un petit miracle.
Car dès l’entame de « Mother Man », la barre est placée haute et quasi infranchissable. Un seul riff, puis une rythmique bancale et épileptique, constituée de soli et de roulements fins et incessants. L’intersection du Free-Jazz et du Metal le plus sauvage. Avec en caution roots la voix très carnassière de Kelly, et des riffs parfois redondants.
Tout s’accélère sur le title-track « Unquestionable Presence ». Plus agressif, plus alambiqué, aux limites de la pratique surhumaine. Mais toujours cette recherche mélodique, absconses certes, mais dont le fil peut être suivi, pour peu que l’on soit attentif. Des soli toujours propres, inspirés, et un duo Choy/Flynn qui ne souffre aucune limite créative.
« Your Life's Retribution », et la farandole continue. On ne peut qu’être admiratif de cet équilibre incroyable qu’ont réussi à créer les quatre musiciens. A ce stade là, soit vous avez abandonné le cours devant la complexité de l’équation à résoudre, soit vous êtes conquis. Ce fut mon cas. Car même si je savais pertinemment qu’en tant que musicien moi-même, j’étais bien incapable de reproduire ne serait ce que dix pour cent de la virtuosité présente en ces sillons, je restais sous le charme d’une telle performance, car elle n’était pas vaine. Il ne s’agissait pas de démonstration, juste de capacités exploitées au maximum pour mettre en valeur des chansons précieuses et uniques.
Et ce postulat vaut pour tout l’album. De « An Incarnation's Dream » et son maelström de décors changeant à la vitesse de la lumière, à « Brains », et ses interventions pertinentes surnageant dans un océan d’abstraction. Trente deux minutes de savoir-faire hypnotique sans aucun rival à portée de voix. Des musiciens d’exception au service d’une musique sauvage, précise, et bouillonnante. Et le tout servi encore chaud sur lit de textes rusés et clairvoyants.
« It's been my dream, to enter the stream »
C’est ça, un courant. Un tourbillon marin qui emporte les navires et les fait virevolter, avant de les avaler. Un maximum d’influences pour une musique si personnelle que personne n’a réussi à la reproduire. Il faut dire que la tâche aurait été plus qu’ardue, car intégrer des éléments aussi crus que ces passages hyper speed faisant suite à des cavalcades Techno-Thrash-Jazz, proposer des soli mélodiques, techniques ET inventifs soutenant des parties vocales caverneuses, et enrober le tout dans une production aussi grave que puissante, je ne vois guère qui aurait pu relever le défi.
Je n’essaie pas de dire par cette chronique que ne pas aimer ATHEIST relève de la faiblesse mentale, ou de la beaufittude de bas étage à peine digne d’être satisfaite par les éructations de SODOM (que j’adore aussi !), non, bien sur. Je pose juste un jugement subjectif, basé sur mes propres sentiments. Et sur l’histoire du Metal aussi. Car si Unquestionable Presence est aujourd’hui encore reconnu comme une des pierres angulaires du Metal moderne, ça n’est pas pour rien. Et même si le nom de CYNIC est souvent accolé à celui d’ATHEIST, il est inutile de comparer leur musique et leur parcours. Mais la démarche reste la même. Proposer une musique forte et originale.
Suite à cette épiphanie, le groupe sera lancé dans la stratosphère et accouchera d’un Elements aussi lunaire et indescriptible, basé sur les quatre éléments (et avec interludes magiques offerts, tel ce « Samba Briza » et son tapping de basse irréel…), que beaucoup de fans préfèrent à Unquestionable Presence. Je respecte ce choix, car c’est un album que j’affectionne aussi beaucoup. Mais je le trouve plus raisonnable. Plus accessible.
Et avec Unquestionable Presence, ATHEIST avait accompli l’inaccessible.
Ajouté : Mercredi 29 Février 2012 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Atheist Website Hits: 11922
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