WALL OF WATER (usa) - Wall Of Water (2016)
Label : Autoproduction
Sortie du Scud : 10 Mai 2016
Pays : Etats-Unis
Genre : Progressive Avant Garde Black Metal
Type : Album
Playtime : 6 titres – 35 minutes
Si le Black Metal, aux origines, semblait un genre figé et dédié aux sempiternelles litanies de guitares acides accompagnées de divers hululements macabres, il est aujourd'hui un des styles extrêmes les plus novateurs, en tout cas, celui qui peut-être, ose le plus.
Oser, le terme est bon. Les musiciens, loin de se contenter de singer leurs glorieux modèles, cassent le schéma bien établi, brisent les tabous et font tomber les barrières, et repoussent de plus en plus loin le culot, pour finalement enlever des oeillères un peu trop tôt apposées par des critiques au raccourci facile...
Les exemples ne manquent pas, et je ne me risquerai pas à les énumérer ici, j'en ajouterai tout au plus un à la longue liste des téméraires qui ont un jour considéré le BM comme ce qu'il est. Une base, qui permet toutes sortes d'expérimentations, de digressions, et d'extensions.
Ce nouvel exemple nous vient de New-York, et si son premier longue durée n'est pas encore parfait, il a au moins le mérite te tenter beaucoup de choses pour ne pas se contenter de survoler un panorama qu'on a déjà contemplé des milliers de fois.
Deux hommes sont responsables de cette occurrence. Deux hommes au passé chargé, des piliers de l'underground extrême US, qu'on retrouvait au casting de groupes comme DISMA, ABAZAGORATH ou FUNEBRARUM, et qui aujourd'hui font équipe pour nous proposer une odyssée en terre inconnue en leur compagnie.
Au kit, Shawn Eldridge, percussionniste polyvalent et capable. Au chant, à la guitare, à la basse et au clavier, Cullen Toner, multi-instrumentiste discipliné et passionné. A eux deux, WALL OF WATER, une entité pluriforme qui sans conteste évolue dans des sphères sombres, mais striées de lumières incandescentes et d'orages magnétiques foudroyants.
Ce mur d'eau, vous pouvez l'appréhender de plusieurs façons. Comme une cascade, qui vous fera glisser le long de rapides et de rochers aiguisés, comme un déluge s'abattant des cieux et charriant dans sa course les désillusions d'une époque de création fatiguée, ou plus simplement tel quel, comme un mur d'eau qui vous purifiera avant de vous laisser passer la porte d'un ailleurs, autre, indéfinissable.
Des mots. Juste des mots, mais pour décrire une musique aussi étrange, riche, versatile et fascinante, ces mots semblent vains.
Il faut en effet s'immerger dans le contenu de ce premier album, qui fait suite à un premier EP promo sorti l'année dernière, qui posait déjà les jalons de l'aventure à venir. Ce premier album est taillé dans un bloc gigantesque, sculptant des cavités individuelles, abritant des créatures étranges. On parle de BM évidemment, à cause de ces blasts en tempête, de ce chant d'écorché vif, de ces riffs qui tournent et ne s'arrêtent jamais, mais on pourrait aussi parler de Death, de Techno Jazz, et plus simplement, de musique extrême qui ne souffre d'aucune limite dans l'imagination et les faits.
Le concept se présente sous la forme de six morceaux de longueur inégale, qui développent chacun une atmosphère bien particulière, souvent agitée de pulsions Black, mais régulièrement secouée d'impulsions Death, Post Metal, et même Metal plus génériquement.
Le duo a bien sûr gardé une place de choix à l'axe batterie/basse/guitare/voix, qui se place en avant, mais a eu l'intelligence de laisser une grande latitude au clavier, qui loin de rester cantonné au rôle d'arrangeur de fortune, impose sa patte synthétique et confère une ambiance étrange et envoutante à la plupart des titres, sans jamais écraser l'équilibre.
On le retrouve dès l'entame qui se veut sans titre, et si les bases sont posées dès le départ, la plupart des idées ne sont pas encore étalées. Le duo sait qu'il a une bonne main, n'a pas besoin de bluffer, et attend patiemment que les minutes s'égrènent pour poser ses cartes sur le tapis.
La production très sèche, est parfaitement adaptée aux passages les plus intenses, mais manque parfois un peu de profondeur sur les interventions de guitare en solitaire. Et c'est bien là le seul reproche que l'on puisse faire à l'ensemble, ce qui vous en conviendrez, est bien peu...
Si la somme des parties se repaît des fondamentaux Black nordiques des 90's, avec en tête de proue un mélange entre MAYHEM et DARKTHRONE, le bloc en lui-même existe sans comparaison, et développe des ouvertures fabuleuses, comme ce break fantomatique sorti de nulle part sur "No Moment Of Clarity". A l'inverse de son titre, ce morceau propose des moments de pureté absolue, aussitôt contrebalancés par des ruades typiquement Black, et laisse des mélodies très éthérées et simples se confondre dans la violence la plus outrancière.
En outre, les plans rythmique élaborés par Shawn rappellent un savant croisement entre le funambulisme de Sean Reinert et la polyrythmie de Hellhammer, qui s'accommodent très bien de la folie instrumentale dégagée par Cullen, qui s'autorise toutes les possibilités.
Nous avons donc droit à de brefs intermèdes instrumentaux dramatiques et emphatiques ("Water Of Life", justement très CYNIC dans le fond et la forme), à des embardées d'une intensité extraordinaire ("Exposure", quatre minutes de terreur BM), mais surtout, à de longues progression qui proposent plus de pistes que des albums entiers d'artistes confirmés.
Ainsi, "Clairvoyance" n'hésite pas à dépasser les neuf minutes sans jamais se répéter ou frôler la redondance. Après une longue intro délicate, durant laquelle la guitare se prend pour celle de Django Reinhardt, le BM acide et cru reprend ses droits, sur un rythme très Crust, avant qu'un break central n'interrompe la marche en avant. Le climat change du tout au tout, s'alourdit, s'épaissit, et le spectre des vieux HELLHAMMER remonte à la surface, porté à bout de cordes vocales par un chant incantatoire au bord de l'apoplexie. Cullen en profite pour sortir ses riffs les plus graves et amples, tandis que Shawn assure le rythme et les percussions de concert, pour un final cauchemardesque...
"Astral Hauntings" referme la porte sur fond de Dark Ambient bizarre et nous laisse avec un goût amer dans la bouche, et les yeux embués, pas vraiment sûrs de ce que nous avons vu, ni entendu...
WALL OF WATER, c'est une forme de Black. Un Black qui s'assume, mais qui refuse de rester cloisonné. Un Black qui respire, qui halète, qui avance mais n'hésite pas à se poser et regarder ailleurs.
C'est un passé qui se tourne vers l'avenir tout en restant hors du temps.
Et plus prosaïquement, un premier album révélateur de la volonté de deux musiciens refusant la facilité. Une cascade, un déluge, une autre dimension.
Celle de la créativité.
Ajouté : Lundi 14 Novembre 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Wall of Water Bandcamp Hits: 7259
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