WHEELFALL (FRA) - Fabien W. Furter (Nov-2015)
"Que connaissons nous de la lumière ? Le jour se transforme en nuit, qui se transforme en jour, en un cycle qui régule notre existence..." Ainsi chantait Alan Tecchio sur le séminal "Life Cycles" de WATCHTOWER... Sans le savoir, il résumait à merveille le parcours des nancéens de WHEELFALL... Qu'il fut arpenté rapidement d'ailleurs, et après nous avoir illuminé en plein jour avec leurs débuts sur Interzone, les voilà aujourd'hui qui nous plongent en pleines ténèbres dans la nuit de Glasrew Point... A peine six ans après leurs création, ils se permettent non seulement un double album, exercice ô combien périlleux, mais aussi un changement de style presque radical. Et le tout, avec un naturel et un brio que nombre de combos établis pourraient leur envier... Après m'être délecté des morceaux de ce dernier né, je ne pouvais retenir ma curiosité plus longtemps, et je décidais donc de chatouiller Fabien de mes questions, pour essayer d'entrevoir un peu... la lumière. Mais au fil de ses réponses, je compris vite que celle-ci, aussi chaude soit-elle, n'était pas moins tamisée que la musique de son groupe...
Line-up : Fabien W. Furter (chant, guitare), Florian Rambour (guitare), Niko Elbow (batterie), Niko El Moche (basse), Thibaut Thieblemont (claviers, machines, choeurs, guitare)
Discographie : From The Blazing Sky at Dusk (Autoproduction - 2010), Interzone (Sunruin Records - 2012), Split with A Very Old Ghost Behind The Farm (Autoproduction - 2012), Live Sessions at La Forge Productions (Autoproduction - 2013), Glassrew Point (Sunruin Records - 2015)
Metal-Impact. Bonjour les WHEELFALL, alors ici, c'est l'espace de présentation, parlez nous de votre formation, au passé, présent et à l'avenir, tribune libre !
Fabien W. Furter. Salut et merci beaucoup de nous offrir cette tribune !
Nous avons créé WHEELFALL en 2009 à Nancy, on était alors férus de Stoner-Doom et on a sorti un EP, un split et un album Interzone. Depuis, et avec la sortie de Glasrew Point, on a réussi à s'émanciper et mûrir de nos influences... Le Stoner-Doom n'est maintenant plus qu'un (très bon) souvenir ! Qu'importe l'étiquette, ce qui nous intéresse est de nous exprimer, et on ne se mettra aucune barrière. Ce qui a toujours été présent dans WHEELFALL, c'est la narration tout au long des morceaux, ce qui a abouti aujourd'hui avec le nouvel album à la création d'un roman complétant la musique, et vice versa. Chez certains, notre musique évoque des images, quelque chose de très cinématique...
MI. Vous venez de sortir votre deuxième album, Glasrew Point. Parle nous un peu du processus de composition et d'enregistrement. qui compose principalement, et qui écrit ? Comment s'est déroulé tout ça ?
Fabien. Le processus a été un peu différent que pour notre premier album, Interzone. En effet, pour Glasrew Point, j'ai amené les morceaux déjà composés, et nous les avons travaillés et arrangés tous ensemble seulement après avoir écrit le résumé du roman. Pendant que nous travaillions sur les morceaux, une amie à nous, Blandine Bruyère, a étoffé ce résumé et en a fait un véritable roman ! Il y a eu énormément d'échange entre la narration et la composition, ce qui fait que la musique ne va pas sans l'histoire, l'un n'est pas adapté de l'autre, ils se sont simplement nourris mutuellement.
L'étape de l'enregistrement a été aussi très importante, car on voulait absolument que ce soit le plus créatif
possible : certains morceaux ont complètement changé de forme, se sont enrichis, d'autres ont muté... On a vraiment pris le temps de faire les choses et de laisser Glasrew Point naître.
MI. Quels sont les thèmes abordés dans cet album ? Le concept a été plus ou moins expliqué et s'est transformé en roman je crois, tu peux nous en expliquer la genèse et les tenants et aboutissants ?
Fabien. C'est l'histoire de quatre personnes n'ayant rien en commun, contraints d'abandonner leur vie soudainement pour échapper à un groupe d'individus au comportement très étrange, qui les prend à parti. Peu à peu, ces comportements étranges se répandent, et ces quatre personnes, après avoir fui le continent se retrouvent sur une île, Glasrew Point, qui semble être épargnée par cette folie...
L'idée principale qui a été à la genèse de l'histoire, c'est l'hyper-connexion qui règne sur notre société actuellement, facilitant la manipulation des masses, l'abrutissant à tel point que l'individu lambda se résout finalement à vivre selon les codes qu'on lui dicte. Pour lui, plus rien ne vaut la peine de se battre, ses valeurs ne sont que de vieilles ombres tremblotantes, il vit dans le passé et dans les fictions dans lesquelles on le noie tous les jours : les campagnes de pub, la politique, les news... La société actuelle est tellement nihiliste... L'histoire et les compositions sont une lutte contre cet état de fait, une métaphore extrême pour une situation extrême. J'invite tous ceux qui lisent cette interview à lire la préface de Glasrew Point qui développe et explique toute cette démarche (une réédition du livre, actuellement épuisé, va bientôt voir le jour) !
MI. Vous parlez d'hyper connexion à propos de ce disque. Penses-tu que la génération smartphone va causer la perte du contact entre les gens ? Etes vous vous mêmes des accros de la technologie ? Penses-tu que l'informatique et le réseau global ont isolé les gens au point de leur faire oublier le simple contact direct entre eux ?
Fabien. Nous ne sommes pas contre les avancées technologiques, bien au contraire ! C'est formidable de vivre dans une époque où tant est possible... Mais très frustrant de voir comment sont utilisées ces technologies, globalement, dans la vie de tous les jours. On a jamais été autant en contact avec les autres, et ce sont ces nouvelles relations qui ont évidemment été perverties dangereusement. Mais ça, ça vaut pour toutes les avancées technologiques, et ce bien avant ce siècle. Si quelque chose peut être détourné de son usage premier, ce sera fait, pour sûr ! Ca me fait penser à cette excellente série, Black Mirror, qui justement s'intéresse aux bienfaits et dérives de ces progrès technologiques dans notre société.
MI. Il est très difficile de vous classer aujourd'hui. Vous êtes Sludge sans l'être vraiment, un peu Post, parfois même un peu Black... Quelle est votre approche de la musique et quels sont les artistes/courants qui vous inspirent, musicalement ou dans d'autres disciplines ? Et pourquoi ?
Fabien. La musique est un art, et un art se doit de proposer des choses. Que ce soit la musique, la peinture, le cinéma, qu'importe. Ce qui nous inspire est le monde qui nous entoure. J'ai toujours admiré les démarches de Bartok, Shoenberg, Stravinsky, j'adore lire Boulez dont les livres ont beaucoup marqué la composition de Glasrew Point. Les idées qu'on retrouve derrière leurs œuvres, on peut les retrouver aussi chez André Breton, Jodorowsky par exemple. L'idée de stagnation me gêne : on évolue tous au court du temps, les situations ne sont jamais les mêmes, les contextes se muent. Alors pourquoi répéter les mêmes choses ? Si tu évolues et que ton art n'évolue pas en même temps, c'est pour moi se mentir à soi-même et ne pas se respecter. J'ai d'ailleurs remarqué que mes artistes préférés ont toujours su évoluer, que ce soit ceux cités précédemment, ou MORBID ANGEL, les SWANS, THE MELVINS, NINE INCH NAILS, David Bowie, COIL. J'ai beaucoup plus d'intérêt pour ces gens qui essaient et se réinventent plutôt que ceux qui répètent la même chose inlassablement alors qu'ils n'ont pas l'âge d'avoir une démence sénile.
MI. Peut-on parler de Post Sludge progressif à votre égard sans être grossier ?
Fabien. [Rires] ... Pour être tout à fait honnête, j'ai encore moi-même beaucoup de mal à mettre une étiquette sur la musique que nous faisons actuellement. Progressive, notre musique l'est oui, c'est une certitude. Concernant ce mot Sludge par contre, je sais pas. Pour moi le Sludge est et restera EyeHateGod, ACID BATH, BUZZOVEN, DOPETHRONE ou FANGE pour parler local... Alors de l'après Sludge ? Aucune idée. En tout cas je ne prends pas ça pour une insulte, bien au contraire.
MI. Glasrew Point est un double album. N'était ce pas un gros risque pour un deuxième LP ? Quels sont selon toi les double albums les plus importants de l'histoire de la musique ?
Fabien. Un double album, et un roman en plus. C'était un risque à prendre : le format s'est imposé de lui-même, et est très cohérent par rapport à ce à quoi aspire WHEELFALL finalement, à savoir proposer des œuvres complètes, touchant à plusieurs arts : la musique, la littérature, la photographie, le dessin et dans un futur proche le cinéma je l'espère. WHEELFALL est un groupe hors norme, et hors de la norme il n'y a plus de règle.
En ce qui concerne les doubles albums les plus important, je pense tout de suite à The Fragile de NINE INCH NAILS, Quadrophenia des WHO qui surpasse selon moi Tommy, et de loin ! The Seer des SWANS, plus récent mais à mon sens tout aussi important. Et bien sûr, l'album blanc des BEATLES. J'aurais tendance à citer comme beaucoup The Wall de PINK FLOYD qui a été très important, mais je lui préfère Ummagumma pour le coup !
MI. Verrais-tu vous votre musique adaptée en long métrage, puisque le propos s'y prête ? Si oui, quel réalisateur t'inspirerait le plus ? Parfois les thèmes m'ont d'ailleurs fait penser à Disconnect, excellent film d'Henry-Alex Rubin...
Fabien. Bien sûr ! Et j'espère que ça arrivera un jour, car c'est quelque chose que nous avons en tête depuis la création du groupe. Le cinéma fait entrer en collision l'image, le son, la narration et comme je le disais précédemment, c'est cette collision qui nous intéresse ! Je ne connais pas le film dont tu parles, mais j'irai y jeter un œil.
Difficile de choisir un réalisateur en particulier, même si Cronenberg me vient directement en tête en partie pour Videodrome et bien sûr Crash qui aborde les mêmes thèmes que Glasrew Point, d'un point de vue différent. David Fincher pour sa maîtrise de l'image et de la narration, et Jodorowsky, juste pour voir comment cet artiste interpréterait nos morceaux, métaphoriquement.
MI. Une tournée est elle en préparation ? En cours peut être ? Des dates à annoncer ? Et si vous aviez le choix, avec qui aimeriez vous tourner ?
Fabien. Nous avons joué fin octobre 2015 à Rennes, au Mans et Nantes, des dates qui nous ont permis de nous mettre en route de la plus belle des manières, sachant que nous n'avions jamais joué à ces endroits et que nous sortions d'une pause scénique de plus d'un an et demi. Nous allons jouer le 5 décembre 2015 à Strasbourg avec LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL, puis le 18 décembre 2015 à Colmar avec ZATOKREV. D'autres dates vont être annoncées, et il est prévu bien sûr de tourner !
Si nous avions le choix... Dans le réalisable, on aimerait beaucoup tourner avec DirgE, ZATOKREV, CROWN, REVOK... Le must serait bien évidemment de tourner avec NEUROSIS ! Ca, c'est un bel objectif, ça me plait !
MI. Avez vous déjà en tête quelques pistes à suivre pour donner une suite à ce deuxième chapitre longue durée à votre aventure ?
Fabien. Il y a quelques pistes que nous aimerions explorer oui... Mais pour le moment, on préfère se concentrer sur Glasrew Point, l'amener à un maximum d'oreilles et d'yeux possible, c'est la priorité.
MI. L'industrie du disque a beaucoup changé en quinze ans. Les ventes de cd sont catastrophiques, les groupes reviennent à des formats vintage (vinyle, cassette), et surtout, privilégient le DIY et le crowdfunding. Quel est ton avis sur la question, et quel regard portes tu sur ce marché ? Penses-tu que la débrouille et les formats dématérialisés sont l'avenir ? En outre, quel est ton avis sur les web radios et plateformes comme Deezer ou Grooveshark ?
Fabien. Je ne sais pas si l'industrie de la musique a énormément changé. Elle essaie de s'adapter avec 10 ans de retard, capitalisant et stagnant sur un modèle qui fonctionnait dans les années 90. Ce qui a changé par contre, c'est la façon dont les gens écoutent et consomment la musique, et c'est bien normal ! Notre société évolue, la technologie et la science évoluent, il serait absurde de continuer à vivre selon des codes du passé, obsolètes maintenant. Il faut vivre avec son temps : les gens sont noyés sous l'information, et ont accès plus que jamais aux autres, au monde... Là maintenant tout est là, devant nous. C'est un autre effort que cela demande, celui de ne pas se laisser submerger ni imposer n'importe quoi. Ecouter de la musique et ne pas seulement l'entendre, c'est important.
Devant tout ce fourmillement et cette masse d'information, c'est logique je pense de vouloir retrouver une authenticité, un contact. On a envie de soutenir une démarche, de sentir quelque chose de concret, de sentir qu'on a un rôle dans tout ça, d'où le crowdfunding et le direct-to-fans qui se développe de plus en plus. Plus que de soutenir un artiste, on soutient désormais des idées, des démarches. Ce qui n'est pas pour me déplaire.
Quant aux supports, je n'y attache que peu d'importance tant que le tout est de qualité. Ce n'est pas une fin en soit d'avoir sa musique sur un support, numérique ou physique. Ce qui m'importe est le fait qu'elle vive à travers ses auditeurs. Il faut utiliser pour ça les moyens que nous avons à disposition... Et aujourd'hui nous en avons beaucoup.
Comme disait J.G. Ballard : "Je crois à l'inexistence du passé, à la mort du futur, et aux possibilités infinies du présent".
MI. Quelles relations entretenez-vous avec l'Underground, les artistes, labels et webzines ? Que penses-tu d'ailleurs de ces derniers, jouent-ils un rôle important en tant que lien entre vous et le public Metal ?
Fabien. Bien sûr, ils jouent un grand rôle ! J'essaie de me tenir au courant de tout ce qui sort et étant donné la masse de musique à laquelle nous avons accès, je suis bien content de pouvoir faire confiance à quelques zines pour effectuer un premier tri. Je lis d'ailleurs beaucoup d'interviews, même de groupes que je n'apprécie pas vraiment, tant qu'il y a une démarche revendiquée. Il y a tellement de bons groupes qui sont malheureusement noyés dans la masse, il ne faut pas hésiter à porter son soutien pour ceux qui en valent la peine.
MI. Quelques mots aux lecteurs de Metal-Impact ? Essaie de les convaincre d'acheter votre album !
Fabien. Merci déjà à toi pour cette interview plus qu'intéressante et à ceux parmi vous qui nous soutiennent, et si certains en sont à lire cette réponse, c'est que ce qui précède leur a bien piqué la curiosité ! WHEELFALL est un groupe qui évolue en dehors des règles, et Glasrew Point est certainement un OVNI dans le paysage artistique actuel qui manque parfois cruellement d'audace. Cet album est audacieux, authentique, mais surtout apporte un véritable univers avec lui. Ce n'est pas seulement de la musique, mais aussi de la littérature, de l'art visuel, des concepts ; c'est un tout habité par l'idée de liberté ! On ne peut donc pas compter sur les circuits habituels, et nous aimons être en contact direct avec ceux qui nous soutiennent. Pas d'intermédiaire ! Si vous aimez cette démarche, faites le savoir en vous procurant notre album et roman, partagez notre musique, qu'elle parasite tout ce petit monde qui se repose un peu trop sur ses acquis.
MI. Le dernier mot est pour vous, dis ce qui te passe par la tête, sans employer de mot commençant par Q.
Fabien. Extatique.
Ajouté : Jeudi 05 Novembre 2015 Intervieweur : Mortne2001 Lien en relation: Wheelfall Website Hits: 6584
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