BLACKLISTERS (uk) - Adult (2015)
Label : Smalltown America
Sortie du Scud : 18 Septembre 2015
Pays : Angleterre
Genre : Noisy Indie Hardcore
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 39 Mins
Il n'y a aucun mal à vouloir se replonger dans sa jeunesse. Alors plantons le décor. Vous aviez 15, 16 ans, au début des années 90, et vous vous sentiez en marge, un peu délaissé par le système. Fuck it all, clope sur clope, l'air blasé, et la tête pleine de notes dissonantes, de paroles désabusées, de guitares tranchantes ou traînantes.
A ce moment là, vous vénériez NIRVANA, FLIPPER, MILK, mais surtout les JESUS LIZARD, les MELVINS, SHELLAC, et vous ne crachiez pas sur un brin de vintage, SUGAR, FUGAZI, sans non plus complètement occulter les UNSANE et GIRLS AGAINST BOYS.
Oui, vous aimiez le "Grunge", cette musique qui vous parlait, et qui s'était retrouvée étiquetée salement par des journalistes en mal de terminologie absurde, MAIS vendeuse. Grunge, Alternatif, Indie Core, vous vous en foutiez, tout ce qui comptait, c'était la musique. Abrasive, avec ce sens de l'urgence, un peu blasée, la gratte sur les genoux et le regard absent.
Alors si tout ça vous manque devenu adulte, j'ai une petite idée d'échappatoire pour vous. Rendez vous à Leeds, Angleterre, pour y retrouver un gang de furieux nostalgiques comme vous, qui ne conçoivent l'instrumentation que sous son aspect le plus cru et lancinant.
Bienvenue dans le monde sclérosé mais terriblement attachant des BLACKLISTERS. Dites bonjour à Billy (chant), Owen (basse), Dan (guitare) et Alistair (batterie), qui eux aussi vivent sur un fuseau horaire différent. Responsables d'un premier effort éponyme en 2012, les quatre trublions enfumés de Leeds nous reviennent aujourd'hui en ce mois des suicides avec un second LP, au titre terriblement trompeur. Car Adult, est tout sauf l'être, il est au contraire une sale ballade sur les trottoirs de la jeunesse qui ne se fait aucune illusion, et qui cite ses aînés, connaissant par coeur leurs accords.
Les branleurs ne crachent pas non plus sur un brin d'ironie, de provocation sympa. "The Sadness of Axl Rose" malmené par un hommage flagrant aux grands frères/soeur de SONIC YOUTH a du faire perdre par procuration trois ou quatre kilos au teigneux rouquin. Synthèse du Punk Garage naissant des années 70 et de la scène Indie US des 90's, c'est une bourrade dans les côtes, qui joue sur le fil d'une rythmique en constant équilibre casse gueule.
Mais les BLACKLISTERS n'aiment pas le confort, ça les fait chier. Et leur musique suinte la rage et l'ennui, pue la clope à dix bornes et le stupre des adolescents passés trop vite à l'âge... adulte. Je parlais des LIZARDS tout à l'heure, mais on retrouve ce son incandescent, ces guitares qui souffrent et semblent en passe d'expirer, mais aussi cette basse gonflée et sèche des GAB, sans parler de cette schizophrénie vocale qui passe du renoncement le plus total au cri primal.
Les fulgurances soudaines évoquent aussi un mariage forcé entre MCLUSKY, autre chantre de l'inconfort sonore et UNSANE/FUGAZI, principalement à cause de cette sécheresse globale qui ne promet rien. Ecoutez par exemple le brûlot "Power Ballad" qui se fout bien de votre gueule avec sa basse bloquée sur deux notes. C'est d'ailleurs la même qui propulse l'acide de "I Knowk Myself Out" au bord du chaos, gigantesque assemblage de bruits blancs et mats, froid comme un matin anglais, mais bouillant comme une colère juvénile.
Et comme s'ils avaient peur qu'on ai pas bien pigé leur truc, ils le terminent avec huit minutes de dissonances, de stridences qui écorchent une guitare minimaliste au possible, dont le seul but est de recréer le supplice de la goutte d'eau. A ce moment là, on pense au radicalisme outrancier des STOOGES live, ou même des tortures les plus sournoises du Lou REED de Metal Machine Music. Ils ne vous racontent pas de conneries pourtant, tout est dans le titre, "Downbeat", qui se coupe en son milieu pour laisser quelques notes éparses et graves rétablir l'équilibre et garantir le cauchemar.
Mais avant d'en arriver à cette chute en forme de cascade déguisée, il faudra passer par plusieurs étapes, fondamentales et dérisoires à la fois. Comme cette intro brinquebalante sur "Weasel Bastard" qui répète le même motif jusqu'à l'overdose, basse/batterie unies dans un unisson hypnotique digne des pics nihilistes du No Wave. Jusqu'au bout - et malgré l'adjonction d'une sobre guitare - rien ne change, on attend, patiemment, jusqu'à l'explosion finale, orgiaque mais avec parcimonie.
C'est souvent vicieux d'ailleurs leur approche. "Dream Boat" jour aussi avec les nerfs, et lacère une section rythmique de serpentins coupants de guitare, qui épile un riff jusqu'à son essence, avant de louvoyer, accompagnant ses petites soeurs pour former un bloc tourbillonnant.
Alors que quand les lascars se laissent aller, ça tourne, ça se répercute sur les murs jaunis, et ça saute en boitant d'un pied à l'autre, comme sur ce "Cash Cow" qui tranche dans le vif et pousse tout à fond. Mais la recette est la même, le minimum de plans, appuyés au maximum, avec une guitare qui donne le tournis, et un chant en arrière plan qui hurle sa complainte de ras le bol.
Mais dès qu'ils se décident à atteindre ou dépasser les quatre minutes, c'est la répétition assurée, et "Big Ticker" ne contredit en rien ce postulat. Ca se traîne le long d'un faux riff en délié, ou compacté au maximum, le chant monte en tension, et soudain, tout pète, comme un feu d'artifices intra muros. Un boeuf entre FETISH 69 et les JESUS LIZARD n'aurait rien donné de plus maladif et sardonique je crois. Enfin, je pense...
En dépit de toutes ces formulations, leur musique percute, ne brille pas, mais cette patine sombre ajoute à leur charme. C'est à vif, c'est sans pommade, et ça taillade les oreilles net. On peut y voir un beau revival 92/95 à la sauce 2015, ça n'est pas déplacé. Mais les références sont tellement assumées que l'on pense avoir à faire à un truc d'époque, pas trafiqué, pas rejoué. Comme si on avait oublié un groupe au passage.
Ils sont forts, très forts.
D'ailleurs, après plusieurs écoutes, je reviens sans arrêt à ce "Weasel Bastard" qui se fout pourtant de ma gueule avec ce gimmick/leitmotiv qui se mord la queue. Mais c'est tellement prenant et sincère...
Adultes ? Non, je ne pense pas que les BLACKLISTERS soient devenus adultes. Et je ne sais pas si ils le seront un jour. En tout cas j'espère que non, parce que ce deuxième album me donne envie d'aller fumer une clope dans la rue, sans rien faire d'autre que de mater les gens et me demander pourquoi ils sont aussi inutiles.
Tout comme moi.
Ajouté : Samedi 06 Février 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Blacklisters Website Hits: 6476
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