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DENIGRATA (uk) - Missa Defunctorum: Requiem Mass In A Minor (2015)






Label : Auto-Production
Sortie du Scud : 29 novembre 2015
Pays : Angleterre
Genre : Black Metal
Type : Album
Playtime : 7 Titres - 37 Mins





Si vous pensiez avoir à faire l'état des lieux du Black Metal depuis sa création, je suis certain que la question serait presque réglée pour vous.
Tout vu, tout entendu, lassitude. Hors contexte, etc.
Et pourtant, il y a. Il y a encore des groupes qui tentent de percer le blindage pour passer de l'autre côté. En catimini, mais avec grandeur d'esprit. Et du coup, la question se repose d'elle même. Peut-on dresser un bilan exhaustif de cette musique en 2015 ?
La réponse est bien évidemment non, et c'est un collectif anglais qui nous empêche aujourd'hui de boucler le dossier.
DENIGRATA est à part, clairement. A part du cirque, à part des sempiternelles rengaines, à part des obsessions majeures et des boucles qui reviennent comme des chimères.
Le line-up est simple, même si les habituels pseudos viennent cacher la vérité. Denigrata Herself (chant, guitare), Manea (chant, claviers), Caendel (guitare), Legivn (basse, chant) et Tasimengyi (batterie) tentent avec ce premier album d'aller au delà de la brutalité, au delà de la simplicité, et proposent leur vision d'un Black absolument noir, sombre, mais d'une beauté troublante.

Loin de la base ils ont élaboré leur propre messe de requiem, en s'inspirant de celle de Mozart, en ré mineur. La leur est en la, mais elle est tellement éloignée des centres d'intérêt usuels du Black Metal, que même le terme "expérimental" ne rendrait un fidèle hommage à leur musique. Denigrata Herself et Manea en sont d'ailleurs férues toutes les deux, tout comme du Classique et des moyens de communication, et le choix du latin comme langue morte/vivante en dit long sur leurs intentions. Redonner vie à un langage depuis longtemps confiné à l'écrit, ou mise à mort d'une communication orale par le biais d'un idiome enterré au plus profond des encyclopédies ?
L'un ou l'autre, c'est selon.

Missa Defunctorum: Requiem Mass In A Minor est une énorme surprise, et risque d'ébranler le petit monde du Black sur ses fragiles fondations. Alors que le concept en lui même est déjà beaucoup plus intrigant qu'une énième assemblée de pseudos démons prêts à baver leur lave sur les entrailles de la terre, la musique est encore plus surprenante, et osons le mot, envoûtante. Si les racines des musiciens sont profondément ancrées dans un sol Black brutal, leurs extensions dépassent de la terre et accrochent les nuages noirs pour laisser développer des pousses symphoniques, classiques, comme si ELEND, MYRKUR et MARDUK s'enlaçaient dans un ballet onirique/cauchemardesque. La confrontation entre l'outrancière violence et la mélodie épurée résulte en un fracas sonore assourdissant, pourtant lacéré de volutes vocales harmoniques qui témoignent de la culture classique des membres du groupe.

Il est extrêmement rare qu'un album de Black fasse preuve d'une telle cohésion dans la progression, et que l'on parvienne à suivre le fil des idées en se basant uniquement sur la musique. Mais il est encore plus rare qu'il fasse preuve d'autant de diversité sans se perdre, et que chaque morceau puisse se targuer d'être unique en son genre, tout en acceptant de n'être qu'un élément d'une globalité.
Bien que taillé dans une masse sombre gigantesque, Missa Defunctorum est lumineux dans sa forme et son fond, et passionnant de bout en bout, sans perdre un seul instant l'impact de sa puissance gigantesque.

Prises individuellement, les voix de Denigrata et de Manea sont chacune motrice/matrice. Mais lorsque les deux se marient, l'alchimie fonctionne à un tel degré que le terme même de "Black" devient trop réducteur, et "Confutatis Maledictis" de se poser en simple moment de beauté violente pure, annonciatrice d'une fin d'album aussi pénétrante qu'agressive.

La diversité de la musique est telle que l'utilisation d'un seul terme pour en définir les contours vulgarise trop la démarche, même si l'Avant-garde, l'Industriel, le Black, le Néo Classique et l'Ambient en sont des composantes indéniables.
Alors que certains groupes établis mettraient des années à courir après un tel résultat, DENIGRATA n'aura eu besoin que d'une seule tentative pour y arriver, et parvient même à repousser les limites de l'intensité lors de l'épique "Lacrymosa", acmé de brutalité instrumentale de plus de huit minutes, qui laisse la chanteuse principale s'époumoner pendant que la rythmique martiale Black Indus marque au fer rouge les témoins du carnage. Les riffs se font de plus en plus opaques, et les vocalises de la chanteuse vous percent les tympans de leur timbre mi grave, mi aigu, dans une schizophrénie vocale hallucinante.

Mais à dire vrai, pour comprendre Missa Defunctorum: Requiem Mass In A Minor, il faut l'appréhender pour ce qu'il est. Une pièce classique répondant aux mêmes exigences que l'oeuvre d'origine, qui je le rappelle n'avait pu être terminée à temps par Mozart, et qui fut achevée après sa mort.
La construction est la même ici, et le principe aussi. Les choeurs (les voix) occupent le devant de la scène, et l'orchestre n'est là que pour les soutenir. Pas étonnant alors que les voix de Denigrata Herself et Manea soient les pôles d'attraction de ce travail, conçu au départ pour une soprano, une alto, un ténor et une basse. D'ailleurs, tout comme dans le travail de Mozart, les passages instrumentaux sont rares, et ce, jusqu'au terme du voyage consacré, puisque "Agnus Dei" le final se pose en synthèse des pleurs ("Lacrymosa") et de la confusion des maudits ("Confutatis Maldictis"), en termes de musicalité.

On pourrait penser un tel album comme le fruit d'une prétention, d'une arrogance, en se disant qu'un simple groupe de Black Metal ne peut pas rivaliser en terme de dramatisme et d'intensité avec une oeuvre classique aussi importante que la Messe du Requiem de Mozart.
Et pourtant, il est tout sauf ça. Il faut plutôt l'entrevoir comme l'ambition de musiciens passionnés qui refusent de se cantonner aux figures imposées d'un style usé jusqu'à la corde, et qui préfèrent adapter leur passion à leur moyen d'expression.
Certes, en termes artistiques, Missa Defunctorum à du volume, et représente beaucoup plus qu'un simple disque de Black avant-gardiste de plus, avant-garde qu'il ne représente d'ailleurs que par le caractère foncièrement osé de ses choix. C'est une pièce musicale qui emprunte à des courants d'une rare violence leur modus operandi, pour exprimer des émotions, pour raconter une histoire, pour servir un propos. Et il est assez amusant de constater que la contradiction entre un genre foncièrement anti-religieux et une pièce classique de musique sacrée aboutit à un résultat aussi logique et compact, sans que l'on puisse y relever des incohérences rédhibitoires.

"Que ta lumière éternelle luise pour eux, en compagnie de tes saints, durant l’éternité, parce que tu es bon."

Quelle conclusion ironique, mais juste...



Ajouté :  Mardi 05 Janvier 2016
Chroniqueur :  Mortne2001
Score :
Lien en relation:  Denigrata Website
Hits: 6320
  
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