AMBULANCEFORAMURDER. Ca me rappelle ce film improbable de Larry Cohen, The Ambulance, sorti en 1990... Une histoire pas possible de trafic d'organes sur fond de cavalcade urbaine en ambulance, que le héros retrouvait un soir comme élément de déco d'un bar... Ok, le scénario n'était pas terrible, mais le film m'a marqué à vie, sans que je ne sache vraiment pourquoi... J'étais jeune sans doute.
La comparaison est osée, je le concède, puisque ce premier EP des ukrainiens est plutôt très solide dans le genre, et surtout, très accrocheur malgré sa technique très pointue.
Ok, Mathcore Progressif, c'est assez malheureux et facile comme classification. D'autant plus que le quintette n'évolue pas vraiment en eaux mouvementées, mais plutôt sur un terrain solide, aride, et abrupt.
J'aurais aussi bien pu caser dans cette description d'ailleurs une grosse touche de Techno Death, de Modern Metal, et même de Jazz, de Fusion, tant Inner touche un peu à tout, avec un énorme brio.

AMBULANCEFORAMURDER nous vient donc d'Ukraine, de Kiev plus exactement, et a rodé son répertoire en répétant d'arrache pied, avant de se lancer dans le grand bain de la production discographique. Un premier single au titre énigmatique, "I Think I'm Rain", paru en juillet 2013, et la complétion l'année dernière de ce premier EP très prometteur.
A vrai dire, et sans tomber dans les clichés, les membres de ce groupe sont physiquement aussi éloignés de leur musique qu'ils en sont aussi hétéroclites. A voir les photos promo, on pourrait penser à de l'Indie, et d'ailleurs, certains accents nostalgiques de leur musique n'en sont pas si éloignés que ça. Leur schéma est simple, au prime abord, une rythmique qui donne le ton, sur laquelle viennent se greffer des riffs puissants et un chant véhément. Voici pour les couplets en tout cas, car le reste des morceaux part un peu dans toutes les directions comme je le précisais, tout en restant cohérent et pertinent.

Du Death donc, pour ces passages en double grosse caisse, mais aussi du Progressif bien sur, pour cette façon de dénouer un thème pour le regarder flotter, de la Fusion avec cette basse slappée, ces accents Jazz qui surgissent de nulle part, du Math pour la complexité des signatures, du Post Metal/Rock pour ces ambiances soudain décharnées et ces répétitions qui enfoncent le clou, en gros, un sacré résumé des tendances de ces dix/quinze dernières années, à leur sauce.
Parfois, sur quelques secondes, AMBULANCEFORAMURDER se veut même Heavy lyrique et mélodique, avant que la batterie ultra triggée n'annihile toute velléité harmonique et détruise tout sur son passage, annonçant un puzzle rythmique/casse tête à suivre ("Captain Died First", inclassable avec ses choeurs typique Hardcore et sa mélodie qui vrille en derviche).

Mais la plupart du temps, la focale de leur musique se situe sur une ambivalence/dualité violence/mélodie brisée, dualité qu'ils traitent sous tous ses aspects possibles, et par tout l'éventail de styles à leur disposition. On en trouve preuve bien évidemment sur leur single ultra efficace "I Think I'm Rain", qu'ils nous proposent à nouveau, mais plus généralement sur la globalité de l'album.
On pense à CONVERGE, SOILWORK, GOJIRA, et même STRAPPING YOUNG LAD, pour ce désir de complexifier les émotions et les rendre presque palpables, pour ce niveau instrumental impressionnant, mais aussi pour ces pauses faussement pures mais réellement troublantes ("Still The Same", peut être l'attaque la plus franche).
Et lorsque la durée s'étire un peu, tout devient permis, et AMBULANCEFORAMURDER de s'échapper et de devenir insaisissable, ménageant allégrement Death, Techno Thrash, Mathcore, Heavy, Hardcore, Fusion, sans jamais se départir de sa belle assurance.

Deux morceaux témoignent de cette volonté farouche d'indépendance. Tout d'abord "Suicide Club", qui tronçonne des riffs en pièces détachées, les regarde s'écrouler avant de les remonter dans une logique qui semble aléatoire (mais ne l'est pas), avant de partir sur un chemin de traverse Fusion, laissant le chant clair s'exprimer, pour annoncer un final aussi méchant qu'en équilibre furieux.
Ensuite, le final "Obsidian", qui entame sa course comme un boitement à la SYSTEM OF A DOWN, gicle soudain un riff à la SLAYER en laissant la rythmique prendre de l'épaisseur, et retombe soudain dans la fusillade Death avant de poser les bases d'un Heavy moderne et contemplatif, qui érige des temples de voix éthérées délicatement soutenus par des piliers de basse en circonvolutions... Et tout ça, pour la moitié du morceau seulement...
Ca laisse rêveur, et on ne peut pas dire que les idées manquent au groupe !

Pour son premier EP, AMBULANCEFORAMURDER a mis le grand talent dans un petit plat, même si cet EP avoisine la durée raisonnable d'un LP courant. On comprend mieux à son écoute pourquoi les cinq musiciens ont préféré prendre leur temps avant de se lancer, tant Inner paraît imperfectible à bien des niveaux. Certes, la batterie ultra compressée et triggée est parfois insupportable, ce qui gâche certains passages pourtant bien troussés, mais c'est bien le seul reproche que je puisse formuler à l'encontre de ce premier jet.
Inventivité, agressivité, puissance, efficacité, versatilité, homogénéité, tout est là, et le résultat impressionne autant qu'il captive l'oreille.

Si un résumé du Metal moderne est votre quête du Graal, vous pouvez vous arrêter là, vous avez trouvé. Il s'appelle en fait Inner, et c'est le premier EP de ce groupe ukrainien à suivre, AMBULANCEFORAMURDER.