BOSSE-DE-NAGE (usa) - All Fours (2015)
Label : Profound Lore Records
Sortie du Scud : 14 avril 2015
Pays : Etats-Unis
Genre : Post Experimental Black Metal
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 55 Mins
Les jours se suivent et parfois se ressemblent. J'évoquais hier le changement de cap de la mythique Bay Area, et par un hasard incroyable de sorties traitées, j'y suis de retour aujourd'hui...
La Californie... Ses plages, ses blondes délicatement halées, son soleil, et ses... groupes étranges...
Le cas abordé TREE OF SHAME m'avait mis la puce à l'oreille. Cette puce a fini par s'y engouffrer corps et âme ce matin, après la découverte du quatrième longue durée d'un groupe encore plus décalé, au nom bizarre qui empêche toute classification, BOSSE de NAGE.
Pour info, ce patronyme est aussi celui d'un personnage de l'iconoclaste Alfred Jarry, que l'on retrouve dans Gestes et Opinions du Docteuir Faustroll, Pataphysicien. Sa particularité étant de savoir dire "Ha ha" en français...
Connaissant l'oeuvre de Jarry, il est donc assez ardu de deviner ce qui se cache derrière cette pochette étrange, qui rappelle un peu les assemblages calligraphiques des groupes de Pop des années 80. Et si le groupe ne vous est pas familier, impossible de dire que s'y cache un des meilleurs albums de "Post Black" de cette année 2015... Si on peut encore utiliser ce terme...
BOSSE-de-NAGE est un groupe prolifique. All Fours, comme son nom l'indique, est le quatrième longue durée du quatuor, après Bosse-de-Nage, II, et III. La logique numéraire est donc respectée, ce qui n'est pas forcément le cas de leur trajectoire.
Jusqu'ici, les américains se plaisaient à développer de longs thèmes mélancolisant la noirceur du Black Metal, dans de longs spleen parfois peu diserts en émotions. Leurs digressions avaient souvent tendances à se répéter, les laissaient se noyer dans la masse des tâcherons du genre, déjà overloadé d'entités en tous genres. Ils ne faisaient pas partie du haut du panier, mais III changea légèrement la donne. On sentait une nette progression, une envie d'aller voir ailleurs et de diluer leur musique dans une mixture un peu moins prévisible.
All Fours non seulement entérine ce changement de cap, mais l'officialise d'une bien belle manière. Le hic, est qu'il est maintenant difficile d'affilier le groupe au mouvement Black, tant il s'en est éloigné.
Lorsqu'on aborde le cas épineux du Post Black, les mêmes noms reviennent imperturbablement. DEAFHEAVEN, ou KRALLICE par exemple, bénéficient d'un statut de pointures du genre, et il est assez difficile de prétendre leur opposer une quelconque concurrence. Avec All Fours, sans remettre en cause leur leadership, BOSSE-de-NAGE pourrait se glisser dans le Top 5 des groupes dont l'influence pourraient toucher des formations naissantes. Les fondements de leur musique n'ont pourtant pas foncièrement changé. La structure des morceaux est toujours la même, privilégiant les thèmes largement développés, et l'interprétation n'a pas forcément non plus modifié son visage, avec des riffs toujours à la limite de la cassure de verre, un chant noyé dans le mix qui s'écorche sans relâche, et une rythmique toujours aussi volubile et créative. Comme d'habitude, le travail de la batterie est phénoménal, multiplie les pistes et les contretemps, sans jamais montrer le moindre signe d'usure.
Mais de temps à autres, comme de sérieux indices laissés sur la piste d'une enquête, le vent du changement souffle, et ouvre des portes Screamo, voire Indie, comme le démontre le très travaillé "Washerwoman", traînant son mal être tout au long de ses dix minutes. Démarrage lent et doux, montée en puissance progressive, qui imbrique les passages les uns dans les autres avec délicatesse, cassures fréquentes de quelques secondes, laissant la crash s'évaporer dans le silence, avant que les heurts soudains ne viennent casser cette belle mécanique par des lacérations puissantes sur lesquelles la rythmique donne tout. Mais même dans ces instants de fureur ébouriffante, le quatuor ne perd jamais de vue sa mélodie principale, ce qui aboutit à une collision intéressante et envoûtante entre le Post Rock, le Hardcore et le Black, comme si un SLINT avait heurté de plein fouet ses idées avec celles de DISSECTION par exemple.
Mais n'oublions pas, même dans ce cas précis, que le Black se fait très rare sur ce disque. Des morceaux bruts et purement Core comme "In A Yard Somewhere" ou "The Industry Of Distance" nous le rappellent sans précautions, évoquant autant le Mathcore le plus virulent que le Post Rock le plus moderne. Guitares abrasives, vocaux en rupture, et batterie une fois de plus tentaculaire qui n'a de cesse de déconstruire le rythme pour le mouler à sa convenance. Et quel talent de ce côté là, rarement batteur aura su proposer autant d'idées sans paraître déplacé ou redondant...
Le final "The Most Modern Staircase" semble vouloir synthétiser le parcours 2015 du groupe, et trouble un peu la surface de l'eau en assimilant toutes les idées proposées jusqu'à lors. Mélodie amère, longs arpèges hivernaux, déflagration Black sans retenue, avec que le Post ne reprenne ses droits à mi parcours, laissant les guitares tisser une épaisse toile de riffs aigus, à la limite de la dissonance.
Tout est là, étalé, résumé, et présenté comme une carte de visite globale, se tournant du coup vers un avenir qui semble incertain...
Mais la force incroyable de BOSSE-de-NAGE reste cette faculté inouïe de tomber dans le versant le plus noir des sentiments humains, tout en gardant justement une grande humanité. Ils atténuent la violence radicale du Black en lui injectant de grosses doses d'harmonies qui doivent autant au Doom qu'au Post Rock, et créent de fait une troisième voie "diplomatique", presque schizophrénique, ou au contraire très fidèle à la nature humaine, de par sa dualité et ses oppositions.
Ainsi, après avoir longuement erré sur les chemins Post, ce fameux dernier morceaux assume enfin dans ses derniers instants ses tendances Black, avant que les sirènes/guitares ne se dissolvent dans la nuit, en un étrange chaos de cordes répétitives.
Certains se chagrineront certainement de quelques bégaiements, de répétitions qui deviennent parfois des tics de compositions d'un morceau à l'autre, mais il est certain qu'avec All Fours, BOSSE-de-NAGE a franchi un palier encore plus important qu'avec III, en transcendant son Post Black grâce à l'adjonction d'éléments extérieurs riches.
Au risque de ne plus appartenir à cette catégorie si restreinte, mais n'est ce pas le prix à payer pour devenir unique ?
Ajouté : Vendredi 09 Octobre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Bosse-De-Nage Website Hits: 6662
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