C'est un évènement aussi attendu qu'imprévisible. Aussi attendu qu'effrayant. Dans le ciel Metal, le passage d'un album de DIE APOKALYPTISCHEN REITER est au moins aussi observé que celui de la Comète de Halley. Et même si sa période orbitale n'est que de deux-trois ans en moyenne (un vol d'hirondelle paralytique comparé aux soixante-quinze ans de la Comète de Halley), c'est surtout une épreuve de force mentale et d'adresse pour le chroniqueur, qui, rien qu'à l'idée de devoir écrire une demi-douzaine de fois le nom du groupe dans son papier, craint pour son tunnel carpien. Fort heureusement, DIE A... PO... KA... LY...PTI...SCHEN REITER est surtout de ces formations inspirantes, poétesses, dont les frasques en et en dehors du studio ravissent toujours l'aficionado de cette folie douce tellement teutonne. A l'aube de son vingtième anniversaire, le quintet avait tout prévu via ce neuvième album, qui est un peu plus qu'un simple neuvième album, puisque, on peut le dire, de par son envergure, sa longueur, sa structure, il a tout de l'opus ponctuant en grâce deux décennies de service. Inspiré des expériences vécues par le groupe himself tout au long de sa carrière (voilà surement en quoi cet opus ressemble à une célébration), "des Everglades aux Alpes en passant par les Monts des Géants et une salle de répétition au sein d'un bateau-maison", Tief.Tiefer s'imposera, à l'image malgré tout de chaque album des Allemands, comme un carnet de voyage absolument troublant et fantasque, idoine à la personnalité haute en couleurs de Fuchs et ses compères.

Début aout 2013 : le quintet annonce la sortie de cet album pour le 30 mai 2014, avec un temps d'anticipation quasi-record.
30 mai 2014 : Tief.Tiefer atterrit dans les bacs.
Deutsche Qualität.

En ce qui concerne cette œuvre, qui se décompose en deux volets (le volet Tief compte 11 nouveaux titres, une dimension standard pour un nouvel effort, alors que le volet Tiefer se compose de 9 reprises et inédits acoustiques), force est de constater qu'elle marche dans les pas de Moral & Wahnsinn, avec cet amalgame de titres provocateurs, soudains, délirants et de morceaux précis, tubesques, incontournables. DIE APOKALYPTISCHEN REITER se fait une joie de débloquer son compteur efficacité dès "Freiheit, Gleichheit, Brüderlichkeit", dont le côté électro / martial rappellerait presque les débuts d'un certain... BRING ME THE HORIZON sur son dernier opus Sempiternal. Je n'irai pas plus loin dans la comparaison, de peur d'un châtiment "à la marseillaise" sur la RN64, mais juxtaposez les écritures et vous trouverez, j'en suis certain, et en dépit de votre manque de bonne volonté, quelques similitudes. Pour le reste, c'est surtout une composition absolument énorme qui, avec le recul, est déjà l'une des meilleures de ce disque. La transition avec "Wir" et son tempo Rock N' Roll ne se fait pas prier et même si dans le songwriting, DIE APOKALYPTISCHEN REITER semble à la fois plus grave et torturé que sur les premières minutes de Moral & Wahnsinn, la justesse des arrangements de Dr. Pest détonne, à l'image de ces pianos raffinés sur "Wo Es Dich Gibt" qui ne collent en rien à la brutalité de son costume. Manquant peut-être d'une vraie symphonie macabre comme le fut "Dr. Pest" sur le précédent, Tief.Tiefer enchaîne à cet endroit précis par le doublé "Ein Leichtes Mädchen" - "Ein Vöglein", la première étant une balade Heavy et tranquille, la seconde un poème déclamé sur des accords de piano. Et alors qu'on croit l'album s'endormir sur un faux rythme, "Die Wahreit" le fait repartir, idem pour la dynamitante "2 Teufel" et l'extravagante "Die Welt Ist Tief", une création envolée totalement représentative de l'esprit nomade de cette sortie. Fort d'un vague à l'âme perceptible, d'une pointe de nostalgie, Tief.Tiefer éprouvera beaucoup moins les limites de créativité du groupe que Moral & Wahnsinn ou que Samurai, se dévoilant comme légèrement plus homogène sans jamais se départir de la jovialité propre à cette formation qui, je le crois, ne cessera jamais d'être exceptionnelle. Quant à la partie acoustique qui succède sans vraiment de transition à ce très bel ouvrage, il s'agit surtout de ne pas laisser des morceaux forts comme "Friede Sei Mit Dir", "Terra Nola" (Have A Nice Trip), "Auf Die Liebe" (Licht) tomber dans l'oubli. Mais la sensibilité de ce deuxième volet se matérialise surtout dans l'apparition d'inédits, de l'ultra-flippante "Der Wahnsinn" à l'émouvante "Die Leidenschaft". Sans réellement faire très fort, DIE APOKALYPTISCHEN REITER ravit d'une musicalité différente qu'on apprécie de la même façon après bientôt une heure et quart de jeu.

Dix neuf ans, vingt titres, vingt bougies. Il manque donc une clé de compréhension à Tief.Tiefer, comme il en a toujours manqué une à chaque album du groupe depuis la sortie de Soft & Stronger en 1997. Toujours aussi unique et spécifique, DIE APOKALYPTISCHEN REITER n'aura pas manqué le rendez-vous fixé près de dix mois plus tôt. Œuvre complexe, sombre, entre Rock N' Roll en fusion et Metal polaire, ce neuvième full-lenght est la neuvième singularité dans la discographie des Allemands. Et si ce n'est pas un must-have, comme tous les autres, ça y ressemble.