FULL OF HELL (usa) - Full Of Hell and Merzbow (2014)
Label : Profound Lore Records
Sortie du Scud : 25 novembre 2014
Pays : Etats-Unis
Genre : Grind Experimental Noisy
Type : Album
Playtime : 11 Titres - 23 Mins
Dans l'histoire de la musique, et spécialement de celle dite "déviante", les associations de malfaiteurs furent légion. Ces flingués qui un jour se décident à mettre en commun leurs réflexions et impulsions aussi dangereuses qu'un cocktail Molotov oublié devant un local d'anarchistes. Ca donne généralement un truc incroyable, qui défie les lois de la physique. Un choc frontal insoutenable qui provoque le coup du lapin, une arthrite précoce ou un handicap à vie.
Souvenez vous. Les exactions d'Al Jourgensen et Jello Biafra dans LARD. DILLINGER ESCAPE PLAN et Mike Patton sur le cauchemardesque Irony is a Dead Scene. Le même Patton avec Lombardo dans FANTOMAS et ses délires cinématographiques. DEATH IN JUNE et les JOYAUX DE LA PRINCESSE. Le Jazz Grind de Mick Harris et John Zorn. Ou comment associer des forces vives galopant déjà à des vitesses hallucinantes et qui produisent une force capable de souffler toute vie alentours. Ca fait peur en amont, ça détruit sur le moment, et ça laisse des séquelles à vie à posteriori. Bang, boum, t'es mort. Mais heureux, vidé, et avec le sourire.
Fin 2014, on savait que quelque chose d'horrible se préparait. Deux noms de la scène underground commençaient à s'accoler, et rien que le fait de savoir qu'éventuellement, ces deux entités monstrueuses allaient collaborer nous donnait des décharges dans la colonne vertébrale. Et moi, comme beaucoup d'autres, j'attendais ça. Parce que je me doutais. Parce que je le sentais. Parce que ces deux là, je les savais très, très dangereux. Dangereux individuellement, bruitistes à l'extrême, et sans concessions. Et ce jour terrible à fini par arriver, par le biais de Profound Lore Records, un label qui n'a pas froid aux yeux. Laissez moi vous expliquer l'affaire, et présenter le casting.
A ma gauche, FULL OF HELL, Ocean City, MD. American Grindcore, une disco pléthorique et homérique entièrement dédiée au bruit, à la fureur, au chaos. Deux LP, une pelletée de splits partagés avec GOLDLUST, ORANGE KIDS, PSYWARFARE, aucun sens de l'empathie, en gros, une excroissance terrible qui pousse sur le dos des USA et que personne ne semble à même de pouvoir guérir.
A ma droite, Masami Akita, Japan terrorist, alias MERZBOW. Inutile dans son cas d'effleurer sa production, tant celle ci n'aurait même pas trouvé sa place dans la bibliothèque d'Alexandrie. Sorcier des potards, Grand Magus des sons qui vous vrillent les neurones, magicien de l'électronique qui vénère les stridences, les ongles qui grattent le tableau, son unique but étant de déranger, provoquer, irriter, et il s'y emploie avec une conviction inégalable depuis le début des années 80. Alors en préambule, cette question. Quel résultat pouvaient produire ensemble ces deux "concepts", sinon un énorme brouhaha de bruit blanc, impitoyable, reléguant la concurrence à des années lumière ? La réponse ?
Ca aurait pu être pire, bien pire. Pire, dans la catastrophe, dans le non sens, dans l'atomisation d'illusions musicales.
Rappelez vous. Lulu, Lou Reed et METALLICA. Naufrage sabordé d'avance pour pratiquement tout le monde, dans lequel les fans s'étaient fourvoyés en croyant entendre une vraie collaboration. En lieu et place de cela, ils n'eurent droit qu'à un délire génial de Reed qui s'était adjoint la force de frappe des four horsemen pour un traitement métal machine. J'avais personnellement adoré la blague, qui était de si mauvais goût que j'y avait décelé un chef d'oeuvre en attente de validation du temps. Je confirme.
Ma crainte au sujet de Full Of Hell and Merzbow, était que le l'imprévisible japonais n'empiète sur les plates bandes des cramés américains. Qu'il ne bidouille trop, qu'il dénature le Grindcore puissant des natifs du Maryland au point de le transformer en bouillie sonore indigeste. Le mélange paraissait savoureux sur papier, mais le résultat était tout sauf garanti.
Et pourtant. Masami a su s'effacer. Laisser le devant de la scène à FULL OF HELL dont les structures bordéliques mais Ô combien puissantes n'avaient pas besoin de grand chose pour encore plus aplatir l'espace sonore ambiant. Il s'est fondu dans la "musique" de Dylan, Spencer et consorts pour enrichir leurs strates de sons, il a apporté sa puissance perso qui très subtilement a épaissi les couches de magma des américains, et le petit miracle s'est accompli sans en avoir l'air...
Car Full Of Hell and Merzbow pourrait bien être le meilleur album de Grind Noise moderne, à tous les niveaux.
Il pourrait être aussi l'interprétation très intime, l'adaptation à des standards élevés de démence d'Irony Is A Dead Scene et Guts Of A Virgin (Dillinger, Patton, Zorn et Harris, soit une camisole exigée à l'entrée) en une seule oeuvre, sombre, horrifique, sans concession aucune.
Et tout commence sans avertissement. Du Grind glauque, puissant, sans aucune empathie, tout au long de segments courts, mais qui arrachent la moindre feuille des arbres. Un son à décorner les taureaux, une production si énorme que vos enceintes déclarent forfait au bout de quelques secondes, une rythmique qui ne se laisse aucun répit. Et soudain, on commence à sentir le travail sous jacent du génial japonais, qui a boosté de ses interventions subtiles les attaques rythmiques des américains. Le Crust est soudain plus vicieux, le Grind plus rapide, le Doom/Sludge plus poisseux, comme des paroxysmes dont on aurait même pas osé rêver...
Et lorsque les cinq associés se fondent en une même créature difforme, on atteint des sommets de névralgie, hantés de cris, de sons sifflants, de dissonances psychiatriques ("Raise Thee, Great Wall, Bloody and Terrible", une chanson qui n'a jamais aussi bien porté son nom). FULL OF HELL arrête soudain sa course, et ridiculise de facto toutes les envolées Core de la création ("Thrum In The Deep", qui donnerait des sueurs froides à Anselmo et la NOLA team avec sa coulée de lave incandescente à la progression lourde). Deux pamphlets Grind plus tard ("Shattered Knife", "Mute", moins d'une minute trente secondes à eux deux, boucherie intégrale), et nous tombons dans un cauchemar en trois volets. C'est d'abord l'onirique et putrescent "High Feels" qui rase tout à dix kilomètres à la ronde avec sa pesanteur, ses arrangements dérangeants, tel une litanie Doom qui fait vraiment froid dans le dos.
Puis "Ludjet Av Gud", morceau qui porte l'emprunte la plus profonde des travaux de MERZBOW, aborde autant LUSTMORD que IN SLAUGHTER NATIVE ou Diamanda GALAS. Percussions abyssales, incantations vocales sournoises et terrifiantes, musicalité degré zéro. Le tapis sonore est grouillant, et déborde de rafales de vent, de plaies samplées de chairs arrachées. Et ça fait mal.
Car son crescendo final vient se fondre dans "Fawn Heads And Unjoy", sorte d'hybrido Grind qui aurait débauché Patton pour venir hurler sur du SEA OF SHIT ou du BRUTAL TRUTH. Les deux individualités se lâchent, Masami agrémente la furie US de brèves attaques digitales, et le quartette ne retient plus rien, et laisse sa bourrasque dévaster le paysage avec un sourire en coin. Abattoir industriel, décapitations à la chaîne, le sang coule et puis... Plus rien.
Vous ne comprendrez peut être pas ce qui vous est arrivé. Vous aurez sans doute envie de fermer les yeux et les oreilles, mais vous ne pourrez pas. Full Of Hell and Merzbow prouve que lorsque deux artistes aussi extrêmes décident de combiner leur art et non de le superposer, cela aboutit à une oeuvre unique, d'une puissance rarement expérimentée. C'est ainsi, et ça n'arrive que très rarement. Et inévitablement, ça produit un chef d'oeuvre.
Period.
Ajouté : Jeudi 16 Avril 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Full Of Hell Website Hits: 5398
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