TERRA TENEBROSA (se) - The Tunnels (2011)
Label : Trust No One Recordings
Sortie du Scud : 4 mars 2011
Pays : Suède
Genre : Avant Garde Metal
Type : EP
Playtime : 7 Titres - 47 Mins
Il y a très longtemps que je souhaitais vous parler de ce groupe totalement à part. Il m'aura fallu attendre la sortie de leur dernier EP pour me lancer dans l'entreprise, mais je pense que vous ne le regretterez pas. Doté d'un concept étrange, TERRA TENEBROSA développe une musique qui ne l'est pas moins, et il m'est impossible de les classer dans quelle catégorie que ce soit. Sachez tout au plus qu'ils se rapprochent parfois du NEUROSIS le plus abscons, le plus hermétique, et encore, ceci ne reste qu'une indication mineure sans réel fondement, tout juste indicative.
TERRA TENEBROSA, prosaïquement, ce sont trois musiciens, du moins c'est ce que dit la légende. Tous trois ex BREACH, groupe éclot à Luleå, Suède, en 1993 et ayant pratiqué un Post Hardcore fameux entre 1995 et 2002, le temps de quatre albums et deux Ep's. Le seul souci étant que BREACH était un sextet, et que de ces six membres, seuls trois subsistent dans ce nouveau projet... Tous affublés de pseudos !
Nous retrouvons donc Hibernal, Hisperdal, et The Cuckoo, qui n'est rien de moins que le pivot central du concept. En effet l'histoire narrée par le trio est basée sur la vie de ce personnage énigmatique, de son essence à sa transformation, et de son monde, effrayant, bruyant, sombre et indescriptible... Comme la musique du combo.
Plaçons d'entrée le débat. Si le terme avant-garde (le mot français pour dire "merde" selon John Lennon) reste un raccourci facile pour décrire The Tunnels, il n'est pas galvaudé. On pourrait même pousser le raisonnement plus loin, en affirmant sans trop risquer de se tromper que TERRA TENEBROSA est à l'avant garde de l'Industriel, comme ont pu l'être les SWANS, EINSTURZENDE NEUBAUTEN ou les YOUNG GODS avant eux. Mais leur industriel à eux est beaucoup plus mécanique qu'organique. Si Blixa Bargeld et ses potes aimaient chauffer le fer à blanc pour produire des symphonies stridentes, The Cuckoo et ses deux comparses privilégient les machines, et le font d'une manière terrifiante. Il faut en effet attendre la quatrième piste (et donc vingt deux minutes de musique) pour entendre la première guitare distincte, qui d'ailleurs tronçonne de façon impitoyable, un peu comme le faisaient les flingués de BILE. Sauf que les suédois ne rigolent pas eux, il n'y a rien de paillard ou de drôle dans leur musique. On est loin de MINISTRY, et leur bruit froid est parfaitement calqué sur les sons répandus par une usine locale tournant à plein régime. Usine pourtant fermée depuis des années.
NEUROSIS, oui. Je ne vois que Scott Kelly, Jason Roeder et Dave Edwardson pour sortir un truc aussi malsain que captivant. Et encore, dans leurs moments les moins empathiques. "The Arc Of Descent" aurait pu se retrouver sur Through Silver In Blood, effectivement. Sauf que même lorsqu'il s'écorchait la gorge, Dave ne poussait pas de cris aussi flippants. Et même lorsque Scott lacérait sa guitare, elle n'avait pas un son aussi abrasif et collant. Huit minutes d'oppression sonore, sans lumière, ni sortie de secours. Inutile de vous frotter les yeux, le rêve éveillé ne s'arrêtera pas tant qu'il gardera les proportions d'un cauchemar. Et personne ne vous prendra la main.
Et si l'iconographie du trio peut paraître grotesque, avec ces masques difformes et ces ombres dérangeantes, sachez que leur musique est au moins aussi effrayante que leur image. Vous connaissez ces blogs consacrés à ce que l'image et le son peuvent révéler de plus étrange et terrifiant, genre Creepy Pasta ? TERRA TENEBROSA y aurait sa place, et du coup, renverrait le reste au rayon farces et attrapes d'un cirque itinérant. Rien n'est plaisant ici, ou facile, sauf le talent des musiciens pour créer des ambiances poisseuses et inconfortables, et le tout d'une manière quasiment instrumentale. Et loin d'être une accumulation de vignettes glauques, The Tunnels est une progression, qui avance dans l'horreur la plus absurde, pour une fin inéluctable qui apparaît toujours plus chaotique et douloureuse.
Un cas. "Guiding The Mist/Terraforming", qui s'enfonce encore un peu plus dans les marécages boueux du personnage central. Le même motif lancinant reproduit sur sept long minutes, qui s'arrête net, et reprend d'une puissance surnaturelle sur ses derniers instants. Une comptine horrifique qui emprunte au Sludge, au Post Hardcore, à l'Industriel ses tics les plus dangereux. Et le trauma continue sur le pathologique "Through The Eyes Of The Maninkari", aux courtes interventions vocales d'outre tombe, et dont la basse est si épaisse et claquante, qu'elle fait passer celle de "Stay Here" des SWANS pour une vulgaire rythmique acoustique champêtre. Si le terme "puissance" a souvent été utilisé à outrance par des journalistes avides de sensationnalisme ou par facilité (moi y compris), son emploi est ici d'une évidence même. A condition d'occulter toutes ses occurrences précédentes. Oui, je vous l'ai dit, TERRA TENEBROSA est une expérience unique, et je pèse mes mots.
Finalement, peur être que toute la philosophie vitale fantasmagorique de TERRA TENEBROSA se trouve dans la raison d'être du premier et dernier morceau de ce LP. "The Teranbos Prayer", placé en ouverture, est d'une franchise désarmante. Percussions traumatisantes, arrangements rampants croupissant sous terre, le terreau fertile à une soudaine explosion de haine qui laisse le spectateur/auditeur hagard, incapable de comprendre la scène. Le Coucou surgit enfin de son nid, presque déjà adulte, l'oeil brillant de projets tous plus égoïstes les uns que les autres. Son envol est souligné d'un tissu de bidouillages sonores accompagnant ce qu'on croit être un mur de guitares infranchissable, maculé de slogans hurlés d'une voix qui n'a rien d'humain. La négation totale du Black, la restructuration aléatoire de l'Industriel, les divagations hypnotiques du Post, tout est là, dans l'ordre et assemblé avec une originalité propre.
Et tandis que personne n'a encore digéré l'aventure, l'éponyme "The Tunnels" ferme ce premier chapitre de la façon la plus logique qui soit. Sans un mot, avec une fois de plus ces battements lourds et réguliers, cette guitare dissonante et malhonnête, comme une transition vers la suite de la narration, une suite à l'image d'un vieux pont de bois, chancelant, dont la trajectoire croise celle d'une route abandonnée, sur laquelle personne n'a envie de poser le pied. Une route sans visibilité, dont chaque centimètre révèle son lot de terreurs cachées, de bruits menaçants, et dont chaque carrefour risque de vous faire tomber sur une créature à l'aspect des plus déplaisant, et aux intentions les moins louables.
Souvent, dans l'histoire de la musique, des cerveaux féconds ont voulu créer de toute pièce un personnage, et lui offrir un costume, un monde, une couleur musicale. Certains ont brillamment réussi l'expérience (Bowie, Reed, Prince...), mais aucun d'entre eux n'est jamais parvenu à monter de toute pièce un monde aussi noir, inquiétant, dans lequel évolue une entité aussi étrange et indescriptible que le Coucou.
Ce tour de force vous est ici offert sur un plateau, et le manège brinquebalant qui vous attend risque de vous donner la nausée. Pourtant, vous ne pourrez pas en descendre. Car vous voudrez savoir.
Et vous allez bientôt être fixé.
Saurez vous maîtriser vos nerfs ?
Ajouté : Mardi 29 Juillet 2014 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Terra Tenebrosa Website Hits: 6060
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