Du Rhône-Alpes nous vient aujourd’hui cette nouvelle signature de l’excellent label Avantgarde Music, qui prouve s’il en était besoin tout le retard comblé en matière de Black Metal par les groupes de notre beau pays. Car si nos représentants locaux se sont longtemps contenté de reproduire les figures de style de leurs aînés, ils ont acquis au fil des années une personnalité propre, apte à séduire les plus exigeants.
Et SITUS MAGUS vient conforter ce postulat avec sa première livraison, parue en fin d’année dernière, Le Grand Œuvre.
Dans la lignée de DEATHSPELL OMEGA ou BLUT AUS NORD, SITUS MAGUS privilégie les ambiances, les longs développements, et si Le Grand Œuvre est décomposé en quatre mouvements bien distincts, il convient de l’appréhender comme une pièce unique et homogène, même si chacun des segments possède son traitement propre.
Si la grandiloquence du propos peut parfois faire penser à un EMPEROR en grande forme (« Œuvre au Rouge », et ses arrangements de clavier en contrepoint), la totalité de cet album fait preuve d’une grande cohésion qui ne doit rien à personne.
Car le groupe a bien assimilé la science du contre-pied, et alterne les rythmes à outrance au sein d’une même composition, sans toutefois perdre en cours de route le fil de leur histoire, défaut commun à bien des formations.

Et après une courte intro bien troussée, nous nous retrouvons vite plongé dans les abysses d’un monde sombre, suscitant autant la claustrophobie que la lucidité morbide. Avec un son de guitare rappelant quelque peu celui de feu Euronymous, un chant âpre à la lisière de la souffrance, et une rythmique sobre et plombée, le groupe nous entraîne à sa suite, appuyant son propos par un tempo lourd, lent et pesant, histoire d’envenimer un peu les débats. Durant les quasi douze minutes de ce premier chapitre, « Œuvre au Noir », SITUS MAGUS emploie certes des recettes éprouvées, mais les reprend à son compte, et alterne les climats sans jamais paraître redondant ou répétitif. Un peu BATHORY dans l’esprit, avec une touche de SONANCE pour la rugosité de l’interprétation, SITUS MAGUS sait diluer sa noirceur dans une variante de sonorités nostalgiques, étouffantes pour mieux nous surprendre à l’orée d’un break impromptu qui relance la machine.

« Œuvre au Blanc », malgré son titre laissant supposer une accalmie enfonce un peu plus le clou, et se rapproche encore plus des travaux les plus emphatiques de BLUT AUS NORD, tout en conservant cette « patte » si spéciale (mention particulière pour le son de la double grosse caisse semblant sortir de nulle part).
Avec des trouvailles discrètes mais notables (les guitares acides, les claviers toujours discrets, les breaks inopinés), SITUS MAGUS sait respecter les us de l’Orthodox Black Metal, tout en y apportant une touche nouvelle.
« Œuvre au Jaune », le morceau le plus « court » du lot, privilégie la vitesse et l’agression quasi permanente, et revient donc vers les rives du Black originel, parvenant même par instant à placer en opposition la science de l’orchestration d’EMPEROR et le minimalisme outrancier de DARKTHRONE. On sent à l’occasion de ce titre la montée en puissance du groupe qui s’achèvera sur l’apocalyptique «Œuvre au Rouge », à l’intro cataclysmique relevant du chaos le plus absolu.
Double pédale sans retenue, hurlements stridents, guitares déchaînées, s’éteignant soudain dans un silence inattendu, avant que le morceau ne reprenne dans un fracas de cris et de fureur.
Construction à tiroir d’une habileté incroyable, «Œuvre au Rouge » est vraiment l’épiphanie de cet album, déployant des trésors d’imagination pour laisser constamment l’auditeur sur la brèche, dans l’attente d’un leitmotiv stagnant auquel se raccrocher…qui ne viendra jamais.

Les sceptiques me diront à l’écoute de Le Grand Œuvre que SITUS MAGUS ne révolutionne pas vraiment le genre, et quelque part, je ne saurais les contredire totalement. Il est vrai que passer après des groupes comme DEATHSPELL OMEGA qui a quasiment inventé le genre n’est pas chose aisée… Il n’empêche qu’avec quelques trouvailles utilisées à bon escient, le groupe réussit à se faire une petite place dans la longue files des suiveurs, pour au final voir sa tête dépasser de la queue et se faire remarquer. Il convient quand même de préciser qu’il faudra au groupe faire preuve d’un peu plus de témérité sur leur prochain effort. Mais le talent, l’envie et les ambitions sont là. Ce qui est quand même le plus important.