PRIMUS (usa) - Sailing The Seas Of Cheese (1991)
Label : Interscope
Sortie du Scud : 14 Mai 1991
Pays : Etats-Unis
Genre : Metal Fusion
Type : Album
Playtime : 13 Titres - 46 Mins
A la fin des années 80, le public américain, sevré de mainstream à tout va, que ça soit en musique, cinéma, littérature en a subitement assez de gober les jolies pilules roses que les radios, la télévision et les diverses boites de production les forcent à avaler. Alors évidemment, la régurgitation ne va pas se faire sans mal, parce que 15 ans de traitement ne s’effacent pas comme ça.
Le Metal est toujours là, moribond de n’avoir pas su éviter l’auto parodie, le Punk n’est l’affaire que d’une poignée de nostalgiques de la doublette 77/78, la Pop tourne en rond, et l’alternatif ne trouve écho que dans les chambres capitonnées de savoir d’étudiants en mal de sensations décalées.
1991 sera l’année du grand ménage.
Exit le Hair Metal, exit les figures d’antan, MTV fait table rase et tond lui-même ses anciennes brebis, envoie leurs frusques au pressing de l’oubli, et se découvre une nouvelle passion, les chemises à carreaux portées par des apprentis musiciens hirsutes plus à même d’étancher la soif « d’authenticité » de leurs jeunes spectateurs.
Alors, le nettoyage évidemment laissera des traces, et certains combos qui ne méritaient pas ce traitement resteront sur le carreau. On a la mémoire courte lorsque des millions de dollars sont en jeu.
Le turnover fera cependant des heureux, et rétablira une certaine justice. NIRVANA méritait son succès, il eut été dommage qu’Eddie Vedder et les siens continuent de tourner en circuit fermé, et ALICE IN CHAINS avait bien des choses à offrir.
Mais sous l’épaisse couche de tignasses mal lavées et de chaussettes fermentées se cachait un monstre bien plus protéiforme, prompt à tout dévorer sur son passage, faisant fi des barrières hermétiques du politiquement correct musical.
Dans le genre « Gentils Barges », nous avions déjà FAITH NO MORE. Mais il nous fallait encore remplir le créneau « Barges, mais Barges aussi ».
Et le messie PRIMUS est arrivé.
Après deux essais bien sentis (Suck On This en 1989 et Frizzle Fry en 1990), mais encore un peu brouillons et diffusés trop confidentiellement, quoique hautement recommandables, Les Claypool, Larry Lalonde (deux transfuges de BLIND ILLUSION, dont je vous ai déjà parlé) et Tim « Herb » Alexander passent à la vitesse supérieure, assimilent et assument pleinement leurs influences, et balancent un pavé qui fait encore jaser aujourd’hui, presque 20 ans plus tard, Sailing The Sees Of Cheese.
Un peu téméraire, c’est un des rares trucs que j’ai chopés à l’époque, comme le Licence To Ill des BEASTIE. Sans doute en avais aussi un peu marre de la soupe pré formatée qu’on nous enfournait à pleine bouche à l’époque. Mais je n’ai pas tout saisi immédiatement. L’humour si, bien sur, car c’est une composante majeure. Mais la musique, il m’a fallu un peu plus de temps. Jusqu’à ce que j’associe les deux à l’occasion de la diffusion du clip de « Tommy The Cat » sur M6, feu la chaîne musicale.
Tout est devenu clair alors. PRIMUS était une partie de ce que j’attendais. L’ironie de fin de couloir, la dextérité presque assommante, le décalage divin.
J’étais déjà pas mal fan de Zappa en ce temps là. Je tirais à pleine bourre sur mes enceintes du METALLICA, et je ne crachais pas de temps à autre sur un bon Tom Waits (si possible Swordfishtrombones bien sur…). Jaco Pastorius et Marcus Miller ne m’étaient pas inconnus non plus d’ailleurs.
Alors tomber sur trois acharnés s’obstinant à mélanger tout ça fut évidemment un bonheur.
Soyons clair. Si DREAM THEATER avaient bu plus de café et mangé plus de nachos, ils auraient pu devenir de sérieux concurrents pour PRIMUS. Même désir de faire tomber les barrières, même facilité instrumentale, même cohésion et complicité.
Mais pas le même sens de la dérision.
Sailing The Seas Of Cheese. Naviguer sur des mers de fromage. Pourquoi pas, je suis client.
Mettons les choses au point de suite si vous le voulez bien. Beaucoup de gens s’obstinent à réduire PRIMUS à son front man. C’est une erreur impardonnable. Aussi génial soit-il, Les ne serait arrivé nulle part sans ce guitariste flingué qu’est et restera toujours Larry Lalonde. Bien plus à l’aise dans les digressions de PRIMUS que sur les riffs lourds et sataniques de POSSESSED, il louvoie constamment entre les disharmonies chromatiques du Jazz, et les riffs Metal de bon aloi. Comparable à Piggy de VOIVOD dans sa démarche, c’est un guitariste qui sert son groupe, et non l’inverse.
Mais Tim « Herb » Alexander reste aussi indispensable que lui. Pendant percutant de son bassiste maboul, il est en permanence en rupture, aligné sur des lignes de basses plus fantasmées que vraiment réalistes, et appuie de ses coups de boutoir nuancés par des caresses légères un rythme qui, s’il donne l’air de vouloir se barrer en couille à chaque instant, reste désespérément solide.
Ils ne nous ont pas pris en traître. Dès l’intro passée, ils se présentent, comme des bâtards. Et quelle meilleure définition pour un groupe dont la filiation reste obscure.
Et musicalement, la métaphore reste valable. Pas vraiment up in time, un peu bancal, mais tellement puissant et créatif. Une ligne de basse torchée comme si l’évidence du jeu ne pouvait être niée, même chez un alcoolo fin bourré, une guitare aux accents sardoniques, et un drum pattern qui se joue de la linéarité.
Puis le groupe nous introduit au « Sgt Baker », qui, sous des aspects autoritaires cache un caractère facétieux, et à l’humour syncopé. Une fois de plus, c’est la cohérence qui frappe, l’homogénéité. De trois musiciens aussi différents émerge une matrice formelle, qui ne peut que remporter l’adhésion.
Le très décalé « American Life » se joue des codes patriotiques à la manière du « Born In The Usa » de Sprinsteen, et offre une demie ballade presque bluesy par moments, ou Larry s’offre un solo splendide de normalité, ce qui chez PRIMUS reste une denrée très rare.
« Jerry Was A Race Car Driver » reste bien sur un des grands moments de cet album, et sera même clippé à l’occasion. Une ligne de basse en taping/slap infernale (que je me suis échiné à essayer de reprendre sur une quatre corde, merci, au revoir), des couplets moqueurs pour un refrain fédérateur, et on monte dans le bolide sans savoir où l’on va atterrir. Mais on s’en fout.
Du 11/12ème ? C’est possible avec « Eleven », qui sonne comme une valse sous meth, avec un Claypool qui passe en revue toutes les couleurs de sa palette vocale. Et quand il décide de nous en mettre plein la vue avec un titre aussi Thrash que les doigts de pied de Tom Araya, ça donne « Is It Luck ? », qui, tout en restant une question, donne aussi une réponse implicite.
Et lorsque l’intro « Grandad's Little Ditty » s’évanouit dans les airs, c’est au tour d’un sale greffier de venir nous compter fleurette.
Et c’est le coup de massue en pleine impasse dégueulasse.
Et si Tom Waits vient prêter ce qu’il lui reste de cordes vocales, ça n’est pas pour faire joli. Il fallait bien un taré pareil pour tenir la dragée haute à une ligne de basse extra terrestre que bon nombre de praticiens ont du décortiquer jusqu’à la nausée.
Ca aurait pu s’arrêter là. J’aurais pu laisser Tommy le chat me mettre KO pour le compte, avachi dans les pommes au milieu de la gerbe et des bouteilles vides.
Mais non, trop facile.
Car après l’interlude « Sathington Waltz » nous attendent encore deux morceaux de choix.
D’abord, « Those Damned Blue-Collar Tweekers », qui règle son compte à ces foutus cols bleus, symboles de l’Amérique moyenne et laborieuse, sur fond de caquètements de canards en rut.
Puis, le long et progressif « Fish On (Fisherman Chronicles, Chapter II) », suite des aventures de « John The Fisherman » de Frizzle Fry, développe ses ambiances tantôt inquiétantes, tantôt envoûtantes sur plus de sept minutes, et dire qu’on se délecte est un doux euphémisme.
« Los Bastardos » vient fermer le rideau, histoire de bien rappeler aux auditeurs à qui on a vraiment eu affaire…
Des bâtards PRIMUS ? Oui, des fameux, mais de gentils bâtards, pas du genre attrape-couillons, pas du genre pain dans la gueule, non, plutôt du genre à s’introduire le soir chez vous, en dansant, pour venir vous dessiner une bite sur la gueule pendant que vous dormez. Et puis tout à coup, ils allument la stéréo à fond, et se barrent en courant, mais sans rire.
Après Sailing The Seas Of Cheese, ils feront aussi bien avec le monumental Pork Soda (et son « My Name Is Mud » au clip une fois de plus hilarant), presque aussi bien avec Tales From The Punchbowl (le dernier avec Tim, qui nous offrira en pâture la chatte de Wynona Rider), nous proposeront un mini album de covers bien senties, pour finalement se séparer et revenir à la charge au début des années 2000.
C’est vrai que l’Amérique peut produire la pire daube, les pires merdes en bâton qui font chialer les grognasses. Et de temps à autres, des trublions arrivent sur le devant de la scène pour fustiger les aspects les plus mièvres de leur culture.
Et même si Les Claypool reste selon moi le bassiste le plus doué de sa génération, je ne peux m’empêcher de constater une fois de plus que l’union fait la force. Sailing The Seas est la quintessence d’un groupe au sommet de son art.
Du grand n’importe quoi qui ne ressemble pas à n’importe quoi. Et que n’importe qui ne peut pas jouer.
Un casse tête ultime en quelque sorte.
Vous voulez voir la grosse chatte brune de Wynona ?
Ajouté : Mercredi 09 Mars 2011 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Primus Website Hits: 10888
|